Vercingétorix ou l’archétype du Héros national
jeudi 13 novembre 2008 par B.TRANCHANT
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Les Anciens l’ont révélé, les Modernes déifié. Figure emblématique de l’Histoire de France et de la Résistance, Vercingétorix exerça une véritable fascination chez les écrivains patriotes du dix-neuvième siècle qui en firent leur miel. Réhabilité par Amédée Thierry, auteur en 1828, d’une histoire des Gaules à succès, son nom inspira une profusion de publications qui légitimèrent l’idée d’une grandeur nationale passée, dont l’actualité politique et internationale devait reproduire fidèlement l’écho. Figure révolutionnaire par excellence, il fut de tous les combats, opposant sa fougue républicaine aux conservatismes de tous poils, plus prompts à voir dans le chef Arverne un barbare sanguinaire aux pratiques religieuses animistes.
Naissance d’un mythe
Cette dichotomie posa les jalons du mythe nationaliste dont la Troisième République allait constituer le point d’orgue : au patriotisme jacobin, s’opposa ainsi un nationalisme de droite, jamais démenti depuis. Au Vercingétorix Républicain, mêlant pêle-mêle « chauvinisme cocardier » et « messianisme humanitaire », succéda le héros tutélaire d’un pays hanté par la haine implacable du Germain que l’imagerie, la poésie et l’érudition s’employèrent à rejeter de toutes leur force. Un lien s’établit au-delà du temps, qui tendit à légitimer l’unité de la mère patrie et les sympathies historiques.
Ultime résistant contre l’envahisseur, le « Brenn » opposa d’abord sa fougue aux traités honteux de 1815, en revendiquant la rive droite du Rhin et la libération des peuples opprimés. Figure archétypale du guerrier à la fin du Second Empire, servant respectivement les desseins de Napoléon III et des Républicains, il symbolisa ensuite la force et l’unité de la Nation. Face au tribun romain, placé à la tête d’une populace criminelle, il se transforma en chef révolutionnaire. Devant l’ennemi, il parvint à instaurer la Terreur. Vaincu certes, mais éternel insoumis imprimant sa marque au monde, à l’image d’un Robespierre ou d’un Saint-Just. Personnage romantique, Vercingétorix fut l’incarnation même du héros malheureux, mélange subtile de pathétisme et de patriotisme dont l’image glorifiée ne cessa d’alimenter les manuels scolaires jusqu’à l’époque coloniale.
L’homme providentiel
Marquée du sceau de la providence, la France affirma ainsi sa vocation privilégiée dans le culte des ancêtres. Un homme aura suffi pour rendre courage à tous. Longtemps après son sacrifice, ses ossements « blanchis par le temps » nous apprennent avec quelle abnégation nos pères, malgré leurs imperfections, ont bataillé pour leur indépendance. À son appel, chacun songe à s’armer, à se couvrir de la saie militaire, à se munir de vivres et de provisions pour les chocs futurs.
La France et la Gaule se nourrissent des mêmes passions : amour de la liberté et du foyer, haine implacable de l’ennemi, gloire du peuple ou renom personnel, honneur ou vengeance. Les morts tombent cependant pour une cause semblable et immuable : la défense du sol natal. Beaucoup d’historiens ont regretté ces dissensions incessantes qui ont coûté à la patrie tant de défaites. C’est l’une des raisons pour lesquelles la figure de Vercingétorix s’est imposée dans les manuels scolaires. Les éléments extrêmes se réconcilient autour de son image, incarnant par-dessus tout la résurrection nationale. En lui, les Gaulois ont trouvé l’homme providentiel que la France de 1914 et 1945 découvrira en Pétain et De Gaulle.
Au prix des affirmations les plus contradictoires, l’image de la Gaule reflète l’idée d’une continuité et de la lutte incessante pour la reconquête ou la préservation du territoire. Vercingétorix préfigure en cela le « citoyen soldat », éternel vengeur de la patrie, dans les tranchées de Champagne, avec la même ardeur que son aïeul sur les champs d’Alésia.
À l’heure où l’érudition projette une lueur nouvelle sur nos origines, le mystère gaulois s’estompe peu à peu. Il saura, cependant, retrouver toute sa vigueur dans les moments de crise du vingtième siècle, s’inspirant en droite ligne de la tradition historiographique antérieure. Sans doute plus que le reste, l’incertitude qui règne sur la connaissance de nos origines entretient la part de mythe qu’elle recèle. En cela, nos ancêtres Gaulois constituent un fond inépuisable de découvertes.
Un rôle civilisateur et pacificateur
« La toute puissance de la civilisation française réside dans son expansionnisme. Nos pères nous ont précédé sur ce point, au travers de leurs multiples conquêtes ». Sous la plume d’Antoine de Genoude (1792-1849), ecclésiastique et publiciste de son état, la France est, par excellence, le « spectacle et l’exemple du monde » par qui la civilisation s’est affirmée. La pensée colonialiste trouve dans ce nationaliste convaincu un de ses plus ardents défenseurs avant l’heure. Après 1830 et l’envoi par l’État français d’un corps expéditionnaire en Algérie, l’idée prend corps, dominant peu à peu la pensée des auteurs laïcs et cléricaux. Elle ne cessera de s’amplifier pour s’affirmer après 1860, avec l’extension des empires coloniaux français et anglais. Nos ancêtres Gaulois alimenteront alors la chronique, apportant la civilisation aux indigènes démunis et quelque peu attardés.
Ils traverseront les frontières et lèveront tous les obstacles pour rallier l’Asie et l’Afrique où les conduiront un jour leurs courses vagabondes. La conquête du monde, par la France, annoncée comme un messianisme, est à cet égard une revanche sur le destin. Notre « génie national » étouffé pendant des siècles pourra ainsi s’exprimer à travers l’expansionnisme colonial. Ce qui vaudra à certains auteurs nationalistes de se prévaloir des qualités ancestrales gauloises en Indochine et en Algérie.