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Fourier, précurseur du socialisme français

vendredi 5 juin 2009 par B.TRANCHANT

Issu d’un milieu aisé, Charles Fourier (1772-1837) exerça plusieurs métiers, avant de se consacrer à une œuvre personnelle, en privilégiant une conception unitaire du monde. Auteur de nombreux ouvrages et articles, il fut aussi l’inspirateur du phalanstère, lieu d’expression communautaire où chacun travaille dans l’harmonie et le plaisir, au gré de ses passions.

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« Lui seul avait eu la force de concevoir la possibilité d’un ordre nouveau ». L’hommage vient de haut. De Jean Jaurès en personne qui ne tarit pas d’éloges sur Charles Fourier, personnage haut en couleur, en marge du pouvoir et de la culture traditionnelle, dont l’œuvre monumentale a suscité bien des commentaires. Et dont la quête du « doute absolu » n’a cessé d’alimenter la pensée au fil des contributions.
De la Théorie des quatre mouvements et des destinées générales au Traité de l’Association domestique et agricole, publiés entre 1808 et 1822, ce fils de commerçant bisontin a déjà posé les prémisses de son modèle théorique dont il fait un résumé, en 1829, dans Le Nouveau Monde industriel et sociétaire. Celui d’une harmonie universelle entre êtres humains. Suivent La Fausse Industrie (1835-1836) et une série d’articles parus dans Le Phalanstère, ou la Réforme industrielle (1832-1834) remplacé par La Phalange (1835-1836). L’auteur y fustige l’« anarchie industrielle » qui résulte du morcellement de la propriété et du parasitisme commercial, source de tous les désordres de la « civilisation ».

Phalanstère

Entouré d’un groupe de disciples auquel se joignent, sous la Monarchie de Juillet, des transfuges du saint-simonisme, il défend l’idée d’une organisation communautaire conforme aux exigences de la nature, censée permettre le passage à l’ère de « l’industrie sociétaire, véridique et attrayante ».
Il scelle ainsi l’acte de naissance du phalanstère (1832), censé former le socle d’un nouvel État. Communauté essentiellement terrienne, il est voué à accueillir quelque 1 620 hommes et femmes qui vivent en harmonie au cœur d’un domaine de 400 hectares où une place particulière est accordée à l’agriculture, aux arts et aux sciences. Le salariat en est banni, chacun étant propriétaire de tout « en participation ». Fourier se plaît à décrire ces couloirs chauffés, ces grands réfectoires et ces appartements privés où il fait bon vivre. Pour parvenir à ses fins, il convie tous les jeudis d’éventuels mécènes autour d’un dîner, pour leur exposer son projet et les convaincre de le financer. L’anecdote raconte qu’il se retrouve souvent seul.

Du rêve à la réalité

Faute de capitaux, Fourier ne sera donc pas en mesure de transformer son rêve en réalité. Pas plus d’ailleurs que ses disciples, pourtant nombreux à se livrer à des tentatives similaires entre 1830 et 1850, en France et à l’étranger. Il n’en reste pas moins convaincu que l’attirance naturelle des hommes pour l’activité et la vertu est totalement entravée et pervertie par le travail. Ses réflexions sur les contradictions du système capitaliste, l’organisation des tâches, les relations entre hommes et femmes, entre individus et société, en font à cet égard un précurseur du socialisme et du féminisme.
Tournant résolument le dos à la violence sociale, il pointe sans coups férir ces « manufactures (qui) prospèrent en raison de l’appauvrissement de l’ouvrier ». Et dénonce sans détours les mœurs hypocrites d’une « civilisation » où se mêlent « indigence, fourberie, oppression et carnage ». La raison s’effrite, se lamente-t-il, avant de récuser ce monde inhumain qui l’entoure, édifié au cours des siècles, auquel il oppose « l’attraction passionnelle » où tout est métamorphosé. À commencer par le travail, la police et l’amour. Ses idées sont à cet égard proches du mutualisme. « Ma théorie se borne à utiliser les passions réprouvées sans y rien changer », résume-t-il. Marx et Engels y prêteront une attention particulière.
Après sa mort, plusieurs tentatives de création de phalanstères auront lieu, sans pour autant atteindre le bonheur promis par l’intéressé. La plus emblématique est sans nul doute celle imaginée par Jean-Baptiste Godin qui réalisera de 1859 à 1878 à Guise, au bord de l’Oise, un ensemble de bâtiments d’habitation et de services pour les ouvriers de son usine. Hommage posthume à l’un des plus grands théoriciens du socialisme.

Bruno Tranchant

Bibliographie

Charles Fourier, Œuvres complètes, 1841-1845 ; rééd. Anthopos, Paris, 1966-1968 : t. I, Théorie des quatre mouvements ; t. II à V, Théorie de l’unité universelle ; t. VI, Le Nouveau Monde industriel et sociétaire (rééd. Flammarion, 1973) ; t. VII, Le Nouveau Monde amoureux (rééd. Slatkine, Genève, 1979) ; t. VIII et IX, La Fausse Industrie ; t. X à XII, Manuscrits ; L’Ordre subversif, Aubier-Montaigne, 1972 ; Vers la liberté en amour, Gallimard, 1975 ; Le Charme composé, Fata Morgana, Montpellier, 1976 ; Piège et charlatanisme des deux sectes Saint-Simon et Owen..., 1831, rééd., Hachette, 1977 ; Hiérarchie du Cocuage, 1924, rééd. Navarin, 1990.

Commentaires et critiques

- F. Armand, Les Fouriéristes et les lettres révolutionnaires de 1848 à 1851, PUF, Paris, 1948 ;
- F. Armand & R. Maublanc, Fourier, Paris, 1937 ;
- H. Bourgin, Fourier : contribution à l’étude du socialisme français, Paris, 1905 ;
- A. Breton, « Ode à Fourier », in Poèmes, Paris, 1948 ;
- V. Considérant, Description du phalanstère, 1848, rééd., Slatkine, 1980 ; Immoralité de la doctrine de Fourier, Paris, 1849 ; Destinée sociale, 2 vol., 4e éd. Paris, 1851 ; Au Texas, 1er rapport à mes amis, Paris, 1852 ;
- K. Marx & F. Engels, L’Idéologie allemande, Éd. sociales, 1974 ;
- R. Queneau, « Dialectique hégélienne et séries de Fourier », in Bords, Paris, 1963.


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