ps chevilly larue
RENCONTRE AVEC… Alain BERGOUNIOUX, Conseiller aux relations avec les fondations et aux revues.

Proudhon entre anarchisme et socialisme

mardi 2 juin 2009 par B.TRANCHANT

Nous célébrons cette année le bicentenaire de la naissance de Pierre-Joseph Proudhon, né à Besançon le 15 janvier 1809. Peu de manifestations sont prévues pour honorer la mémoire d’un des plus grands noms du socialisme français. Le personnage mérite pourtant d’être connu. L’analyse d’Alain Bergounioux, Conseiller aux relations avec les fondations et aux revues.

Qui était au juste Pierre-Joseph Proudhon ?
Cet autodidacte, né en 1809 d’une mère servante et d’un père tonnelier, compte parmi les grandes figures du « socialisme utopique ». Issu d’un milieu modeste, il doit interrompre des études brillantes, au collège de Besançon, pour apprendre et exercer par la suite le métier de typographe.
Ses qualités intellectuelles lui valent d’atteindre la célébrité en 1840, en publiant un ouvrage dont on a surtout retenu la formule-choc : « La propriété, c’est le vol ». Proudhon y révèle une vision claire de la société industrielle dans sa dimension économique et politique. Il compte parmi ceux qui mettent en évidence les mécanismes du capitalisme, la notion de plus-value que le capital s’attribue en organisant collectivement le travail. Aux côtés d’autres penseurs - Saint-Simon et Fourier -, il se livre également à une critique radicale de la société moderne, fondée sur le libéralisme économique et politique. Ce qui lui vaut de figurer aussi bien au rang des premiers socialistes que des pères fondateurs de l’anarchisme, chantre d’un modèle de société sans pouvoir, relevant de la seule responsabilité des individus.

Pourquoi ne plait-il guère aux bourgeois et aux intellectuels ?
Proudhon est un polémiste qui dresse contre lui de nombreux adversaires. Il est d’abord critiqué par la bourgeoisie et les classes dominantes, au prétexte qu’il met en évidence les méfaits de la propriété privée, érigée au dix-neuvième siècle en principe fondamental. Tant et si bien qu’il est perçu comme un véritable fauteur de troubles. Les libéraux en font même une de leur cible favorite. Lorsqu’il est élu, en 1848, à l’Assemblée, il est souvent hué à l’occasion de ses interventions. Dans leur esprit, il incarne l’archétype du révolutionnaire. Même si, aujourd’hui, l’idée qu’il défend de créer une Banque du Peuple pour apporter du crédit aux entreprises coopératives passerait pour du réformisme… Il est un peu le père du micro-crédit.

Il se heurte également à la critique des socialistes, qui défendent par-dessus tout le rôle interventionniste et protecteur de l’État…
Oui, mais pas seulement de la part des socialistes. C’est surtout Karl Marx qui lui reproche une vision trop individualiste. Dans La philosophie de la misère (1946), Proudhon plaide pour un rapprochement entre catégories ouvrières et classes moyennes, en insistant sur les principes de coopération et de mutualisme. S’ensuit une critique en règle du jeune Marx qui l’accuse, dans un pamphlet, de ne pas comprendre la nécessité de l’organisation collective du prolétariat pour renverser l’État bourgeois. Du point de vue des marxistes, dont la pensée dominera l’idéologie socialiste de la seconde moitié du dix-neuvième siècle, Proudhon est un utopiste petit-bourgeois. Ce qui est paradoxal lorsqu’on sait qu’il condamne d’un seul tenant capitalisme et étatisme. Il sera toujours contesté et ses thèses feront longtemps débat au sein de la famille socialiste.

La gloire de Proudhon n’est-elle pas de s’être dressé contre le principe d’autorité ?
Son souhait est de refonder l’économie sur la base de la coopération, et non de la concurrence. Il est également convaincu que le capitalisme ôte aux ouvriers la rémunération de leur travail et que l’étatisme prive les individus de leur souveraineté. Il défend, en matière politique, l’idée du fédéralisme, en s’appuyant sur des communautés de base issues des confédérations. Il éprouve une réelle méfiance pour le suffrage universel et le parlementarisme qui tronquent la souveraineté concrète des citoyens. Il défend, enfin, un « anarchisme positif », en excluant toute espèce de recours à la violence. C’est ce qui fait son originalité. Au point qu’une partie de sa pensée a nourri le socialisme issu du syndicalisme et du monde coopératif qu’on a retrouvé dans le syndicalisme révolutionnaire de la fin du dix-neuvième siècle et dans les idéaux aujourd’hui encore de l’économie sociale et solidaire.

Propos recueillis par Bruno Tranchant

Un adepte du « réformisme révolutionnaire »

Si Jacques Julliard voit dans Proudhon un « grand désillusionniste » dressé contre le capitalisme et le communisme, Alain Bergounioux rend hommage à sa vision critique de l’économie et de la politique. « Il est à la fois l’adversaire d’Adam Smith, père du libéralisme, de Jean-Jacques Rousseau, dans la mesure où il ne croit guère à la volonté générale, et des marxistes, résume l’historien. Il a une vision décapante de la réalité et ne croit que dans la capacité des individus à nouer des liens, à partir de cellules communes ».
Pour autant, il serait réducteur de limiter les influences de Proudhon aux seuls mouvements contestataires et ouvriers. « Lui qui s’avouait « révolutionnaire, mais non bousculeur » croit plus à l’action organisée d’un véritable « réformisme révolutionnaire » qu’au romantisme désordonné de l’« action révolutionnaire », précise l’universitaire Jean Bancal. Deux cents ans après sa naissance, ce penseur atypique suscite de nombreux centres de réflexion et d’action. « Puissance de la personnalité, acuité de l’œuvre critique, réalisme de l’œuvre positive, multiplicité et permanence des influences exercées, tout désigne en Proudhon un génie novateur », conclut l’intéressé.

B.T.


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