« Une recentralisation rampante »
jeudi 17 février 2011 par B.TRANCHANT
Élisabeth Guigou, députée de Seine-Saint-Denis et Secrétaire nationale en charge de la Réforme de l’État et des collectivités territoriales, juge sévèrement le texte adopté, le 17 novembre dernier, à l’Assemblée, avant de dresser des perspectives pour l’avenir.
La réforme territoriale ne marque-t-elle pas un recul sensible de la décentralisation ?
Incontestablement. Elle se traduit même par une recentralisation rampante. Avec l’adoption de l’acte II de la décentralisation, Jean-Pierre Raffarin et la droite semblaient pourtant avoir fait le choix d’un changement de cap, dans les pas de la loi du 2 mars 1982 dite "Loi Defferre" relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions. Mais, avec cette pseudo réforme, elle marque clairement une volonté de réduire la sphère publique, tant au niveau national que local. Au point de se livrer à une véritable attaque en règle contre les compétences et les moyens dont disposent les collectivités locales.
Les textes de loi présentés par le président de la République et le gouvernement ont trois caractéristiques en commun : l’aggravation, la recentralisation et la manipulation. Ils appellent de la part des élus et de nos concitoyens de toutes sensibilités une opposition résolue. Près de trente ans après le grand mouvement de décentralisation que nous, socialistes, avons lancé, les collectivités territoriales ont besoin, non pas tant d’un retour en arrière, que d’une toute autre réforme.
De nombreux élus, de gauche comme de droite, estiment que cette réforme pourrait bien conduire à l’immobilisme de nos territoires. Partagez-vous cette opinion ?
Oui, dans la mesure où elle revient sur un principe fondamental, celui de l’autonomie fiscale des collectivités. La suppression de la taxe professionnelle et son remplacement par une cotisation sur la valeur ajoutée a servi de prétexte à une diminution de l’impôt dont les entreprises sont redevables. Avec, pour conséquence directe, un appauvrissement des territoires et une rupture d’équilibre dont les ménages subissent aujourd’hui les conséquences directes. Tout ceci s’ajoute au gel des dotations de l’État, qui ne fait que s’aggraver année après année, et au transfert de charges non compensées.
Avec des effets négatifs sur les dépenses d’investissement et de fonctionnement des exécutifs locaux…
Des efforts doivent certainement être consentis en matière de fonctionnement. Mais ce qui pose clairement problème, c’est la contraction d’un certain nombre de dépenses, au moment même où les collectivités assument les trois-quarts des investissements publics. À l’heure où la crise sévit de toutes parts, celles-ci auraient pourtant besoin d’un sérieux coup de pouce. Bien évidemment, ce sont les territoires les plus pauvres qui en subissent les conséquences les plus lourdes. Au bout du compte, cette pseudo réforme ne fait qu’aggraver un peu plus encore les inégalités existantes, tant en milieu urbain que rural.
Comment analysez-vous la création du conseiller territorial ?
Nous l’avons combattu avec acharnement, en dénonçant une manipulation politique à visée électoraliste. Il s’agissait, en effet, de porter atteinte à une grande partie des collectivités dirigées par la gauche. Le gouvernement a donc créé de toute pièce un « Homo Sarkozus », afin de redécouper les circonscriptions à sa guise. Le tout, contre l’avis du Conseil constitutionnel qui a censuré, le 9 décembre dernier, l’article 6 de la loi ainsi que le tableau annexé qui fixe le nombre de conseillers territoriaux par départements, jugeant que les écarts trop importants de représentation dans six départements portaient atteinte au principe d’égalité dans les suffrages. Ajoutons que l’élection de ces élus va clairement porter atteinte au principe de parité dans la représentation locale, dans la mesure où les femmes seront moins nombreuses qu’au sein des conseils généraux et régionaux.
Au final, ce cumul institutionnalisé ne fera qu’affaiblir les régions et départements. Pis, il s’avèrera coûteux, contrairement à ce que le gouvernement a pu prétendre. Soit, un milliard d’euros de dépenses supplémentaires correspondant à l’agrandissement et la reconstruction des hémicycles régionaux. Tout cela est absurde. C’est proprement ubuesque !
Cette réforme n’est-elle pas de nature à mettre en péril les services publics locaux ?
Oui. L’idéologie de la réduction à tout prix de la sphère publique au bénéfice du privé fait des ravages ! On le voit notamment avec les hôpitaux, l’éducation ou la justice. La volonté du gouvernement, c’est de plaquer les méthodes du privé sur le service public pour justifier la disparition d’un fonctionnaire sur deux. La mise en œuvre de la RGPP répond d’ailleurs à ce seul objectif. Les services publics de proximité subissent naturellement de plein fouet les effets de cette politique. À commencer par les associations qui assurent le lien social sur l’ensemble du territoire. Tout ceci est extrêmement grave et inquiétant.
Que suggérez-vous en échange ?
Fidèles à l’héritage républicain, nous proposons un nouvel acte de la décentralisation. Nous abrogerons donc ce texte dès notre retour aux responsabilités et mettrons en œuvre une grande réforme de progrès, qui confortera les collectivités pour agir au service de la solidarité, de l’emploi, du développement économique et de l’aménagement du territoire. Une réforme qui permettra à la démocratie d’être étendue et aux services publics locaux d’être étendus.
Précisément, quelles sont les conditions d’un acte III de la décentralisation réussi ?
Il nous faudra repenser les principes d’une bonne organisation territoriale, en organisant préalablement une large concertation. Un consensus politique est en effet indispensable sur le sujet. Nous devrons également engager une réforme fiscale ambitieuse en mettant l’accent sur la diminution des inégalités territoriales. Ce qui transite par une refonte complète des impôts locaux, en veillant à un juste équilibre entre entreprises et ménages. Le calcul des taxes prélevées sur les particuliers devra d’ailleurs impérativement tenir compte des revenus pour remédier aux inégalités de traitement dans l’acquittement de la taxe d’habitation.
D’autre part, l’instauration d’une cotisation sur la valeur ajoutée peut s’avérer utile pour peu que les entreprises soient rattachées aux territoires. Préalablement à cette réforme, il est indispensable de mettre en place un mécanisme de péréquation, à la fois vertical - de l’État vers les collectivités locales - et horizontal - des territoires entre eux -, pour redistribuer les richesses en luttant contre les inégalités. Enfin, nous entendons interdire le cumul des mandats, accorder le droit de vote aux étrangers non communautaires aux élections municipales, améliorer et démocratiser le fonctionnement des intercommunalités, en instaurant le suffrage universel direct et en assurant la représentation des maires, et restaurer la parité, tout en clarifiant les compétences des collectivités en donnant de la substance à la notion de chef de file dans les régions et départements, sur la base d’expérimentations.
Propos recueillis par Bruno Tranchant
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