« La démocratie locale, véritable refuge pour les citoyens désemparés »
mardi 27 avril 2010 par B.TRANCHANT
Avec le recul, comment analysez-vous la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité ?
Ma principale fierté, c’est d’avoir réussi à faire adopter ce texte par une commission paritaire réunissant députés et sénateurs. Lionel Jospin était pourtant convaincu que la droite ferait tout pour s’y opposer, quelques semaines seulement avant les législatives, mais les évènements lui ont donné tort.
Ce dispositif constituait le troisième volet des lois de décentralisation après les lois Defferre-Mauroy (1982), Joxe (1992) et Chevènement (1999). Il a été le fruit d’un travail collectif mené par la commission Mauroy, soucieuse de renforcer la démocratie locale. Le texte final a pris d’ailleurs en compte la plupart de ses recommandations, en concertation avec les associations d’élus.
Avec Bertrand Delanoë, nous avons également veillé à l’amélioration de la loi PML (Paris, Marseille, Lyon) du 31 décembre 1982, en renforçant les conseils d’arrondissement et en associant étroitement les maires concernés aux plans locaux d’urbanisme. Parallèlement, nous avons mis l’accent sur la départementalisation des services d’incendie et de secours et l’amélioration du statut de l’élu. Enfin, nous avons créé les crédits de formation, favorisé l’expression citoyenne, renforcé les droits de l’opposition des minorités dans les assemblées élues et mis en œuvre les comités de quartiers, véritable épine dorsale de la réforme.
Cette loi n’a-t-elle pas révélé une volonté d’insuffler un nouvel élan à la démocratie locale ?
Oui. Elle prévoyait d’ailleurs l’élection des délégués intercommunaux aux municipales de 2008 et le recrutement des conseillers généraux dans le cadre de scrutins d’arrondissements, en prenant appui sur des listes désignées à la proportionnelle, respectant la parité. Force est de constater que le compte n’y est pas après la création, par le gouvernement Fillon, des conseillers territoriaux, appelés à être élus au scrutin uninominal à un tour, en 2014. Autant dire qu’il s’agit là d’une véritable provocation à l’égard de la démocratie et du principe de parité.
Cependant, tout n’est pas parfait dans la loi de 2002. Il me paraît ainsi nécessaire d’étendre les comités de quartiers aux villes de 30 000 habitants, ce que la droite refuse pour l’heure. Preuve que la décentralisation n’est décidément pas sa priorité.
Les exécutifs municipaux élus en 2008 se sont-ils appropriés les outils que cette loi met à leur disposition ?
La loi est entrée en application dès 2002. Dans le 18e arrondissement, nous comptons ainsi depuis longtemps huit conseils de quartiers qui constituent désormais un précieux outil d’aide à la décision. En temps de crise, il peut être d’ailleurs très utile de s’appuyer sur ces instances de proximité. D’autres dispositions sont entrées en vigueur au gré de la publication des décrets d’application. Le bilan est donc globalement positif.
Qui se risquerait d’ailleurs à remettre cette loi en cause, même si des adaptations paraissent nécessaires ? Pierre Mauroy, lui-même, est d’ailleurs convaincu de la nécessité de donner un nouvel élan à la décentralisation, en renforçant la responsabilité des élus. Pour ma part, je reste favorable à la suppression du cumul des mandats et au maintien des échelons territoriaux. À commencer par le département qui reste l’instance de proximité et de solidarité, par excellence.
Que vous inspire la décision du gouvernement de diminuer le nombre d’échelons territoriaux ?
Rien de positif. C’est oublier, en effet, que les quelque 500 000 élus qui composent le paysage local pratiquent le bénévolat, pour la plupart. Et qu’ils mènent un véritable travail de solidarité, indispensable à l’équilibre du pays. Leur présence est même une garantie contre la désertification du monde rural.
Aujourd’hui, la loi est appliquée, pour l’essentiel, par des municipalités de gauche. Cela ne vous dérange-t-il pas ?
De nombreux élus de droite sont également convaincus de son utilité. Il faut être capable d’entendre les suggestions, d’où qu’elles viennent. Or, cette loi est un formidable outil d’aide à la décision que beaucoup de maires se sont appropriés au fil du temps.
Peu d’élus recourent, en revanche, au référendum d’initiative locale. Comment expliquez-vous cette frilosité ?
Cela tient sans doute au fait qu’il n’apparaît pas véritablement comme un outil de démocratie de proximité. Dès lors qu’une consultation précède une décision, elle peut pourtant s’avérer fort utile. Mais lorsque la participation est faible, on est en droit de s’interroger.
Ceci étant dit, il appartient aux élus d’assumer leur responsabilité en évitant de se défausser sur leurs administrés. La véritable sanction, c’est le suffrage universel ! La politique consiste à arbitrer et à faire des choix, après avoir entendu.
N’est-il pas nécessaire, aujourd’hui, de procéder à une évaluation de la loi ?
Oui. Il faut revoir les dispositifs qui figurent dans le texte initial et prendre dès aujourd’hui l’engagement de défaire ce que la droite s’emploie à mettre en place au travers de la réforme territoriale. Oui à la simplification juridique, non à la suppression d’échelons et à la création des conseillers territoriaux ! J’observe d’ailleurs que nos collectivités locales sont bien mieux gérées que l’État lui-même, parce qu’elles ne connaissent pas de déficit. Seul Nicolas Sarkozy, qui n’a jamais été un chaud partisan de la démocratie locale, en doute encore.
La réforme territoriale que le gouvernement a engagé ne marque-t-elle pas une volonté délibérée d’encadrer l’action des collectivités, en discréditant la démocratie locale ?
Le chef de l’État se plait à nous faire croire que les collectivités sont dispendieuses, qu’elles ont un train de vie élevé. Il feint ainsi d’ignorer qu’une ville mal gérée essuie tout aussitôt les foudres de la Chambre régionale des comptes, du corps préfectoral ou des contrôles de légalité. Ce qui a le mérite de prévenir toute espèce de dérive, contrairement aux services de l’État qui s’autorisent des déficits catastrophiques pour le pays. La logique commande donc un recours accru aux collectivités, même s’il paraît nécessaire de clarifier et de rationaliser leurs missions, par souci de transparence.
Le département est-il l’échelon de trop dans le paysage local ?
Non. Ce qui pose problème, c’est le découpage cantonal. Il a été conçu pour les territoires ruraux, pourtant peu représentatifs du système électoral. L’idée que la région et le département peuvent former une seule et même entité est infondée. Le risque est grand en effet de voir essaimer ici ou là des potentats locaux qui distribueront leurs subsides à la tête du client. C’est une vision dépassée, voire même archaïque, de la démocratie à laquelle nous opposons un système qui prévoit un mode de scrutin modernisé. L’exemple vaut, en particulier, pour les sénateurs que nous souhaiterions voir désignés à la proportionnelle - 3 par département au lieu de 4 actuellement - par des délégués urbains et ruraux.
Quelles pistes préconisez-vous pour faire évoluer la démocratie locale ?
La démocratie locale est un véritable refuge pour des citoyens désemparés. Fort de ce constat, il me paraît indispensable de renforcer l’autonomie locale, en imposant les conseils de quartiers aux villes de 30 000 habitants et en leur allouant des crédits d’investissements, comme nous le faisons déjà à Paris. De l’entretien des espaces verts à la mise à disposition de locaux, de nombreux éléments de la vie quotidienne peuvent ainsi être financés, au plus près des habitants. La loi doit donc être évaluée, ce qui ne signifie pas qu’il soit nécessaire de remettre le système en cause.
Pour le reste, une grande réforme devra être engagée après 2012 sur le cumul des mandats, le statut de l’élu, les niveaux de compétences et l’élection, au suffrage universel, des conseillers d’agglomérations. Lesquels doivent être désignés à l’échelon communal et à la proportionnelle. Il nous faut sortir du système de délégation au second degré. Les premiers de liste ont vocation à représenter leurs électeurs au sein des communautés. Je ne conçois pas qu’on puisse dissocier fiscalité intercommunale et suffrage universel.
Comment expliquez-vous l’appétence de nos concitoyens pour la démocratie de proximité ?
Les Français se sentent aujourd’hui floués et isolés. La mondialisation, le capitalisme financier, la crise… Beaucoup de choses semblent subitement leur échapper. Dans ces conditions, tout ce qui peut contribuer à les rapprocher du processus de décision est de nature à les rassurer. Surtout à l’heure où la droite se plait à exploiter les peurs.
Ceci suffit à expliquer le regain d’intérêt des administrés pour les élus de proximité et la fonction de maire dont le mandat transcende, la plupart du temps, le jeu de l’alternance politique. Si les socialistes réussissent bien localement, c’est qu’ils ont démontré leur capacité à préserver l’environnement et le cadre de vie, sans pour autant négliger l’action sociale et le tissu économique qui figurent au cœur de leurs priorités. Les politiques qu’ils mènent sont justes et efficaces, ce qui ne manquera pas de nous conforter en prévision de 2012.
C’est dans ce formidable terreau que se forge la rénovation. Sortons une bonne fois pour toutes de l’image stéréotypée de notables inamovibles, réélus à vie sur la seule foi de leur profil. La politique a changé. À charge pour nous de démontrer que nous incarnons le renouvellement, sous toutes ses formes !
Propos recueillis pas Bruno Tranchant
La loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité, dite loi Vaillant, crée notamment des quartiers de participation, nouveaux territoires politiques à construire. Elle consacre l’irruption d’un nouvel acteur, l’habitant, voire l’usager. Elle constitue donc une recomposition du système local en touchant la configuration territoriale et l’attribution des pouvoirs. Elle crée le quartier défini par et pour le gouvernement de la ville. Concrètement, il s’agit de réorganiser l’espace pour modifier les relations sociales et politiques.
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