ps chevilly larue

Le long combat du socialisme pour l’émancipation individuelle

jeudi 13 novembre 2008 par B.TRANCHANT

Dans l’idéal socialiste, l’individu ne peut s’entendre comme un atome isolé, mais comme un « être avec », un individu social tourné vers la solidarité. De la Déclaration des droits de l’homme à Jaurès, qui définissait le socialisme comme « un individualisme total et complet », tout se rapporte à l’être humain qui est la valeur de toute chose, de la patrie, de la famille, de la propriété, de l’humanité. _

Sacrifier l’individuel au collectif ? La question hante depuis longtemps déjà les esprits, de la philosophie antique jusqu’au marxisme qui a répondu par l’affirmative à cette interrogation lancinante. En assignant à la collectivité le respect de l’autre, la Déclaration des droits de l’homme a imposé le primat de l’individu sur la communauté, laquelle est invitée à le servir plutôt qu’à l’utiliser. Jaurès se reconnaîtra pleinement dans cette filiation, en faisant de l’être humain la « fin suprême » du socialisme. Loin du collectivisme, de l’étatisme et du marxisme-léninisme auxquels se sont identifiés la plupart de ses prédécesseurs.

Mystique jaurésienne

Comment assurer un lien entre les hommes ? Par la religion, affirme-t-il, convaincu que tout être est naturellement habité par une inspiration divine. Mais seul le socialisme peut guider chacun sur cette voie, parce qu’il leur offre la faculté de s’épanouir et d’aspirer à une plus grande justice. Le socialisme n’est donc pas une religion parmi d’autres, c’est l’essence même du sacré qui prend appui sur les idéaux de justice et de liberté (1). Et, au-delà des luttes de classes, l’égalité politique, économique et sociale permettra d’accomplir l’œuvre de Dieu. Espérance dans un avenir où tout ce qui peut réfréner l’épanouissement et le bien-être de l’humanité sera surmonté. Au fond, l’homme est la valeur de toute chose, de la patrie, de la famille, de la propriété, de l’humanité. Au-delà de cette « mystique jaurésienne », Blum se dit convaincu quant à lui que l’objet du socialisme est la transformation révolutionnaire de la structure sociale, autrement dit du régime de la production et de la propriété. «  Nous travaillons à cette transformation dans l’intérêt de l’unité humaine, de l’individu, aussi bien que dans l’intérêt de la collectivité, parce que nous considérons ces deux intérêts comme entièrement solidaires », précise-t-il (2). Cette mutation essentielle de la structure sociale constitue pour ses amis socialistes une véritable remise en cause, parce qu’elle doit mettre un terme à une « iniquité séculaire » et à la lutte des classes, en réconciliant l’humanité avec elle-même et en assurant à l’individu «  le libre jeu de sa vocation naturelle et le plein développement de sa personne ». Ce changement n’est possible qu’au prix d’une action nationale et supranationale des travailleurs « groupés en partis de classe pour leur propre libération », poursuit Blum. Condition préalable à l’acte révolutionnaire dont l’ambition avouée est de libérer l’homme des servitudes qui l’oppressent.

Primat de l’individu

« Il était naturel que nous fussions amenés à montrer plus fortement que la cité socialiste n’est ni la caserne ni le cloître, que l’égalité n’est pas l’uniformité, qu’elle consiste au contraire à placer chaque individu à sa place exacte, au poste social qui lui convient, à celui que lui assigne sa vocation naturelle reconnue et cultivée par la société elle-même, qu’ainsi le socialisme ne nie pas, mais qu’il recherche, mais qu’il développe et qu’il entend utiliser pour le bien collectif toutes les originalités et tous les mérites personnels », poursuit l’intéressé. Pierre Mendès France conçoit pour sa part la République comme un combat historique et démocratique, et non comme un pouvoir à conserver et à isoler de la société. Il plonge dans le passé pour en extraire une pensée de la démocratie accordant aux individus une autonomie, une liberté, un avenir. « Ceux qui veulent conjuguer l’égalité et la liberté, construire le socialisme à visage humain, doivent toujours mettre et remettre au premier plan le souci et l’exigence de la démocratie politique », observe-t-il justement (3).
Jaurès ou la synthèse entre socialisme et République, Blum et l’exigence morale, Mendès et le besoin de vérité. François Mitterrand, à son tour, affirme sa volonté de concilier socialisme et émancipation individuelle. La consécration de l’individu est bien au cœur de l’idéal dont il se revendique, autour de l’accomplissement de soi, de l’autonomie et de la promotion. Partir de l’Un pour justifier le tout et revenir au citoyen qui décide souverainement de son avenir, mais aussi du destin commun. Un constat qui n’en finit plus de nourrir les débats internes.
Bruno Tranchant

 [1] _ [2] _ [3]

[1] Vincent Peillon, "Jean Jaurès et la religion du socialisme", Grasset, 2000.

[2] Discours prononcé lors du 38ème congrès national du parti socialiste SFIO, Paris, le 29 août 1946.

[3] Regards sur la Ve République (1958-1978), Entretiens avec François Lanzenberg, Paris, Fayard, 1983.


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