Rencontre avec... l’historien Gilles CANDAR, président des Études jaurésiennes.
« Jaurès, témoin de l’unité socialiste »
mardi 22 septembre 2009
Il aurait eu 150 ans cette année. Journaliste, enseignant, historien et parlementaire hors norme, Jean Jaurès reste dans tous les esprits la figure emblématique du Parti socialiste. Promoteur de la laïcité et de la République sociale, il paya de sa vie son combat pour la paix. Un entretien avec l’historien Gilles Candar, président des Études jaurésiennes.
Comment Jaurès a-t-il concouru à l’unité socialiste ?
Il a voulu l’unité socialiste, réalisée en 1905. Il s’est battu pour elle et il a fait des sacrifices pour la maintenir. Brillant intellectuel, député influent, il s’est convaincu de l’insuffisance de l’action individuelle ou morcelée. Passionné de liberté, fier et indépendant, il en vient à penser que la transformation de la société, les grands combats politiques nécessaires réclament une force organisée, donc un « parti socialiste ». Il n’y abdique pas sa pensée et son intelligence, pas même des ambitions qui ne sont pas médiocres, mais comprend qu’elles ont d’autant plus de portée qu’elles s’exercent dans un cadre collectif.
La recherche du bien public, de la moralité et de la paix n’est-elle pas la caractéristique essentielle de sa pensée ?
Sans doute, mais Jaurès n’est pas un nouveau Père Noël. C’est un homme jeune (il meurt à 54 ans…), combatif et militant, dont les choix sont souvent minoritaires. Rappelons qu’il s’est battu deux fois en duel et qu’il a affronté les forces de l’ordre dans des manifestations pour le moins vigoureuses. Et chacun se souvient qu’il a fini assassiné. De son temps, les socialistes représentent de 5 à 17 % des suffrages… Et à l’intérieur de la famille socialiste, avant comme après l’unité, ses choix sont discutés, les polémiques sont vives, davantage encore qu’aujourd’hui ! Jaurès se bat, même contre l’opinion. « Il faut savoir dépenser sa popularité » dit-il un jour… Il n’est pas obsédé par le succès passager, mais cherche la cohérence et le long terme. Ce qu’il veut au fond ? Il dira un jour (1904), dans une formule qu’il faudrait commenter et préciser : une humanité sans dieu, ni roi, ni patron. C’est placer la barre assez haut !
Comment Jaurès imaginait-il le principe de transformation sociale ?
Jaurès a d’abord été un républicain confronté aux blocages pour réformer la société : les lois sociales (sécurité des mineurs, journée de dix heures - six jours sur sept -, premières et fort timides retraites, etc.) mettent des décennies à être votées. Pour que l’humanité soit fraternelle, il devient socialiste, donc partisan d’une propriété sociale des outils de production. Il n’est pas étatiste. Il veut une diversité des formes de la propriété sociale, de l’initiative, des contradictions et de la démocratie au sein de cette propriété sociale, ce dont le XXe siècle a montré la difficulté… L’essentiel est de casser l’individualisme dominant d’une société bourgeoise qui ne connaît quasiment pas de redistribution, de protection sociale ou de solidarité collective.
En quoi l’œuvre de Jaurès peut-elle nous aider à comprendre notre époque ?
Il y eut le temps du culte jaurésien … Jaurès avait voulu sauver la paix, il était le témoin d’une époque regrettée, celle de l’unité socialiste et de la confiance dans le progrès. Aujourd’hui, ce monde s’éloigne, mais il est de plus en plus lu. Ses Œuvres paraissent chez Fayard : le tome 1 des Années de jeunesse 1876-1889 vient de sortir, après quatre autres volumes. Les douze autres tomes paraîtront régulièrement. Il existe aussi une foule d’éditions partielles, dont récemment celle de La Dépêche à Toulouse (Rémy Pech)…
Jaurès est un homme de principes, qui ne se perd pas dans la gestion du présent, mais ce n’est pas non plus un dogmatique. Il réfléchit, il parle, certes, et admirablement !, mais il sait se taire, écouter. Il voit une République grippée, dominée par le monde des affaires, une société divisée, en butte aux effets de la première mondialisation. Sa modernité n’est pas seulement dans ses propositions, mais aussi dans sa méthode ouverte, en constante évolution. Jaurès pense à la fois haut et loin et le tout proche. Il est à l’aise sur les différentes échelles de notre vie : il ne pense pas seulement l’échelon national, comme nombre de politiques, mais aussi bien le mondial, l’international, que le local et le terroir. Il ne se limite pas au temps immédiat sans se perdre dans celui des Grands Lendemains espérés. C’est un socialiste pour une société démocratique, complexe et en crise, un humaniste, auquel ne reste étranger nul problème humain. Sa méthode de réflexion, sa passion de la liberté comme principe politique et social, sa quête d’une fraternité réelle interpellent et peuvent encore inspirer la gauche du XXIe siècle.
Propos recueillis par Bruno Tranchant
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