« Mener le processus de décentralisation à son terme »
lundi 12 janvier 2009 par B.TRANCHANT
À l’heure où la commission Balladur se penche sur de nouveaux découpages territoriaux et des rapprochements possibles entre collectivités, Élisabeth Guigou, députée de Seine-Saint-Denis et Secrétaire nationale en charge de la Réforme de l’État et des collectivités territoriales, avance ses propres pistes de réforme.
Depuis que Nicolas Sarkozy a ouvert, en septembre, le grand chantier de la réforme de l’organisation territoriale, les élus ne manquent pas une occasion de manifester leurs craintes. Au point que chacun se sent potentiellement menacé par le « big-bang » annoncé. À tort ou à raison ?
Les craintes des élus sont d’autant plus justifiées qu’on voit bien quelles sont les véritables intentions du président de la République. Il entend d’abord restreindre les périmètres de l’action publique, partout où c’est possible : État, régions, départements et communes. Il poursuit, ensuite, des visées électoralistes en mettant tout en œuvre pour éviter, à l’occasion du scrutin de 2010, une réplique du scénario de 2004 qui a valu à la gauche de conquérir 21 régions sur 22, en métropole.
La volonté politique affichée par le président ne sert-elle pas de cache-misère à une absence de réflexion sur le rôle de l’État ?
C’est la véritable intention de Nicolas Sarkozy. En tant que socialistes, notre souhait est d’apporter des réponses claires à la question essentielle de l’enchevêtrement des compétences. Les citoyens ne s’y retrouvent en effet plus. Ils ne savent pas qui de l’État, de la région ou du département s’occupe d’emploi, de formation, de logement ou de santé. Sans compter que les élus se voient désormais contraints de frapper à la porte des guichets pour obtenir des financements propres à la réalisation d’équipements collectifs. Les entreprises elles-mêmes ont la sensation de perdre leur temps.
Il est donc nécessaire de clarifier les compétences, là où il y a enchevêtrement. Et pour être clair, le problème se concentre, pour l’essentiel, sur l’État et non sur les régions et les départements. Les régions consacrent ainsi 80 % de leur budget au transport, à la formation professionnelle et au développement économique. Les départements allouent l’essentiel de leurs efforts à l’action sociale. Ces deux niveaux de collectivités partagent entre 10 et 20 % de compétences partagées dans les domaines de la culture, du sport et des loisirs, notamment. Ce qui est peu. Il existe, en revanche, de nombreux doublons qui génèrent gaspillages, confusions, retards et ralentissements entre l’État, d’une part, et les départements et régions, d’autre part. Avec, pour principale conséquence, une déperdition de la qualité des services publics. Quid, dans ces conditions, de l’avenir des Directions départementales d’action sociale (DDAS), des sous-préfectures, des Directions régionales de l’industrie de la recherche et de l’environnement (DRIRE) ? La question mérite d’être posée.
Que vous inspire le principe d’une fusion entre régions et départements que certains élus appellent de leurs vœux ?
L’essentiel est de rendre lisibles les principaux blocs de compétences et désigner un chef de file pour les compétences partagées. Il n’est donc pas utile de fusionner départements et régions. Les premiers forment un échelon de proximité privilégié pour mettre en œuvre les politiques d’action sociale dont ils s’acquittent avec succès. Le temps est venu de conforter leurs parts d’autonomie et de responsabilité, en évitant les doublons avec les DDAS. Dans le même temps, l’État doit veiller au renforcement du rôle des régions, parce qu’elles sont la clé du développement économique, des politiques de transports et de la formation.
Le principe de fusion ne répond donc pas aux vrais problèmes. Le gouvernement fait diversion, avec pour seule ambition, de « ruraliser » le scrutin régional pour accroître ses chances de succès aux prochaines élections.
Quelles pistes de réformes préconisez-vous pour remédier à cet enchevêtrement de compétences ?
Le Parti socialiste poursuit un double objectif : mener la décentralisation jusqu’à son terme et remédier aux inégalités territoriales. Lesquelles figurent, pour l’essentiel, au cœur même des régions. Nous défendons le principe d’un État stratège assumant pleinement ses missions régaliennes en matière de justice, de police et de politiques internationales, soumises, depuis plusieurs années, à de fortes dégradations. Il lui faut également agir sur le front de la recherche, de l’éducation et du logement, et remplir des fonctions de solidarité nationale, en veillant au respect d’une juste péréquation entre collectivités territoriales. C’est pour nous essentiel.
Deuxième priorité : le renforcement de l’intercommunalité. Les lois du 6 février 1992, sur l’administration territoriale de la République, et du 12 juillet 1999, relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale - dite « loi Chevènement » -, impulsées par la gauche, en ont favorisé l’émergence. Au point que 90 % des communes ont intégré depuis ces niveaux de collectivités. Il faut achever ce processus, comme le préconisait déjà la « Commission pour l’avenir de la décentralisation » - dite Commission Mauroy -, en octobre 2000. Ces regroupements doivent être pertinents, autour de bassins de vie et d’emploi incluant dans leur périmètre les municipalités les plus pauvres. Ce, en privilégiant une meilleure répartition des dotations et des regroupements de communes. Or, je n’ai rien vu de tel dans les propositions formulées jusqu’ici par la droite.
Au-delà des priorités qui sont les vôtres, quel message entendez-vous prioritairement adresser au gouvernement ?
L’État doit impérativement donner aux collectivités les moyens d’assumer les politiques dont elles ont la charge. Et cesser de leur transférer des charges qu’elles ne peuvent plus assumer, faute de ressources suffisantes. Il doit également assurer la mise en œuvre d’une véritable péréquation financière pour corriger les inégalités entre régions et à l’intérieur même des territoires. Il lui appartient enfin de veiller à l’autonomie des collectivités, en menant le processus de décentralisation à son terme.
Propos recueillis par Bruno Tranchant
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