André Brahic ou l’éloge de l’Honnête homme
dimanche 3 avril 2011 par B.TRANCHANT
André Brahic, astrophysicien, physicien, conférencier, auteur de plusieurs ouvrages était l’invité des Entretiens de Solferino organisés par Laurence Dumont, Secrétaire nationale à la formation, Emmanuel Maurel, Secrétaire national aux universités permanentes et d’été et Bertrand Monthubert, Secrétaire national à l’enseignement supérieur et à la recherche le 30 mars autour du thème : « Les socialistes, la science et le progrès ».
© André Brahic et Bruno Tranchant
Dans le paysage médiatique, André Brahic est un personnage hors-normes. Enthousiaste à souhait, brillant communicant, vulgarisateur de premier plan, cet astrophysicien de haut vol compte assurément parmi ces figures atypiques qu’il vous arrive de rencontrer à deux ou trois reprises au long de votre existence, et qui soulèvent une salle au prix de deux ou trois pirouettes dont il a le secret. Les derniers Entretiens de Solferino en furent un nouveau témoignage vivant. Avec, à la clé, un débat dirigé de main de maître par Bertrand Monthubert et Laurence Dumont sur « les socialistes, la science et le progrès », dans prolongement de l’Université d’été de La Rochelle organisée en août dernier.
Élitistes, les scientifiques ? Au terme de deux heures d’échanges intensifs, les plus réservés parmi les nombreux participants à ces rencontres sont en droit d’en douter. Et de remiser au placard leurs réserves et autres interrogations sur un champ disciplinaire qui a radicalement changé de paradigme au fil du temps.
« Comment un citoyen peut-il exercer pleinement sa citoyenneté ? », s’interroge d’emblée Bertrand Monthubert, Secrétaire national à l’Enseignement supérieur et à la recherche, en référence aux questions brûlantes qui animent l’actualité. « Nous baignons dans un flot de découvertes scientifiques, répond Brahic. Et, ce alors même que les hommes de sciences sont trop souvent absents de notre champ visuel ». Et que la culture scientifique de nos élus se limite malheureusement trop souvent à la portion congrue. « Un scientifique ne connaît pas la vérité, mais il sait ce qui est faux, renchérit-il. La science reste cependant éloignée de nos écrans et d’un pan entier de notre société, se lamente-t-il. Preuve que nous avons sans doute manqué quelque chose ». Et d’appeler le Parti socialiste à fouler au pied l’obscurantisme, sous toutes ses formes.
La culture, la connaissance, l’industrie et l’économie sont les trois piliers de la science contemporaine, poursuit l’astrophysicien, qui ne se prive pas de jeter au pilori ces méthodes répressives prônées par l’actuelle majorité, à coup de chiffres truqués et de manipulations statistiques, auxquels il oppose l’éducation, en référence aux difficultés qui agitent les quartiers. « Le vrai pouvoir est dans la formation, l’effort de vulgarisation et la dimension utopique », assène-t-il. Aux « Homotristus » et à l’obscurantisme, voici donc qu’il oppose la force de l’enthousiasme. Aux messages brouillés et à l’incompétence, la culture.
En écho, Laurence Dumont, députée du Calvados et Secrétaire nationale en charge de la formation, déplore cette volonté obsessionnelle qu’a la droite de mettre à mal les trois piliers -culture, éducation et recherche - dont l’universitaire se revendique. Les travaux élaborés par les experts à l’Assemblée ont un caractère répulsif, fulmine-t-elle, avant de se livrer à une apologie de l’interdisciplinarité et de la mixité, érigés en modèle.
« Les femmes sont trop souvent absentes des cénacles scientifiques », renchérit André Brahic. « Ce n’est pas tant une question culturelle qu’un fait de société clairement avéré », confie Bertrand Monthubert. D’où la nécessité de mettre en place une politique propre à encourager la mixité dans les unités de recherche et les métiers de la science.
« La désaffection pour les sciences, la frilosité et la diabolisation du progrès posent clairement problème. Comment sortir de l’impasse et de l’expatriation des cerveaux ? », s’interroge à son tour Jean-Louis Touraine, député du Rhône et éminent Professeur de médecine. « La pluridisciplinarité, les déséquilibres entre sciences molles et sciences dures constituent un obstacle, poursuit André Brahic. Nos structures sont figées. Passer de l’une à l’autre relève du parcours d’obstacles. Un chercheur doit pouvoir enseigner, tout en exerçant son cœur de métier », fait-il valoir. Sans compter que le budget de la Recherche apparaît pour l’heure comme une simple variable d’ajustement. Un consensus s’avère donc indispensable pour faire de ce thème une valeur commune de part et d’autre de l’échiquier politique. Et d’appeler à l’ouverture de sessions dans les collèges et lycées pour informer les élèves sur les métiers de la science, en livrant ainsi un combat sans merci à la crise de vocation qui sévit actuellement dans le pays.
Le mathématicien, le chimiste, le physicien, l’historien, le philosophe ont leur mot à dire sur les sciences, veut croire André Brahic. « Quant aux experts, ils sont, pour la plupart, peu familiers de la recherche », déplore-t-il. Ils énoncent trop souvent des certitudes auxquelles les chercheurs eux-mêmes refusent de se conformer, au nom du principe d’incertitude et du doute, consubstantiel à leurs travaux. « Les chercheurs sont des explorateurs d’impasses, insiste Brahic. Ils sont des détectives, et non des juges ». « Les sciences expérimentales produisent des vérités dès lors qu’elles échappent aux théories explicatives, constate Bertrand Monthubert. Il est impossible de tout traiter de la même manière ». Le mal-être des enfants provient de « l’absence d’éloge de l’erreur », souligne pour sa part Laurence Dumont. Et André Brahic d’appeler à la mise en place d’un système éducatif privilégiant l’orientation des élèves, en tenant compte de leurs qualités intrinsèques et de leur réelle aptitude à suivre une filière scientifique. « L’interdisciplinarité est un atout », résume Nicolas Simiot, Responsable national en charge du réseau des formateurs, qui appelle les spécialistes de tout poils à se lancer dans la vulgarisation et à former ainsi les esprits les plus réfractaires aux sciences dures. « La communication scientifique a longtemps été peu ou mal perçue, analyse André Brahic. Beaucoup, parmi ceux qui se lancent dans cet exercice, ne sont plus chercheurs », prévient-il. Autre discussion soumise à débat : le budget alloué à la recherche. Sujet épineux qui vaut à la droite et au gouvernement un avertissement sans frais… En dépit des efforts consentis dans le passé, beaucoup reste à faire, assène l’astrophysicien. À commencer par le mode de recrutement des chercheurs qui appelle un changement complet de paradigme. « Changeons les méthodes ! », s’exclame-t-il. Les meilleurs cerveaux devraient se diriger vers les métiers de la recherche, et non dans la finance, martèle-t-il. Et de pointer, au détour d’une phrase assassine, la technique du rendement reposant sur la multiplication des publications, érigée en modèle de recrutement. « Je rêve de l’Honnête homme du vingt-et-unième siècle, capable de faire rêver ses concitoyens », conclut-il. Pas sûr, au terme de ce brillant exposé, qu’il en soit très éloigné.
Bruno Tranchant
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