Repères historiques
mercredi 18 novembre 2009 par B.TRANCHANT
Quand les notions de patriotisme et de nationalisme émergent-elles dans la société française du dix-neuvième siècle ?
La notion de patriotisme est intimement liée à la Révolution française. L’article 3 de la Déclaration des droits de l’homme affirme que « le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation », expression de la volonté générale. « Et la nation France tint à aider à l’émancipation des peuples opprimés en Europe, vocation universaliste spécifique de ce que les historiens nomment « le nationalisme de gauche », note Jean-Pierre Azéma.
Ce sentiment se radicalise au fil du temps. Il s’enracine dans la première partie du XIXème siècle. Tout patriote est alors assimilé à un Républicain, dans un contexte marqué par l’affirmation de la Monarchie censitaire. « L’idée prévaut également sous le Second Empire où l’attachement aux idéaux révolutionnaires et à la dimension républicaine est viscéralement lié au principe de patriotisme », constate l’universitaire Philippe Darriulat.
Existe-t-il un patriotisme de gauche par opposition à un nationalisme de droite ?
Pas dans l’esprit de la pensée du XIXème siècle. Être patriote est une caractéristique essentielle des hommes de gauche. Laquelle s’identifie au patriotisme, parfois même avec des accents bellicistes et colonialistes au moment de la conquête de l’Algérie, sous la Monarchie de Juillet (1830).
« Ce patriotisme de gauche s’oppose à une forme de libéralisme taxée de soumettre les intérêts de la France à ceux de l’Angleterre », analyse Philippe Darriulat. La notion de nationalisme n’apparaîtra qu’à la fin du siècle, sous l’égide de l’extrême droite. Le terme apparaît d’ailleurs pour la première fois sous la plume de l’historien Raoul Girardet, dans les pas du boulangisme et de l’affaire Dreyfus. Il se traduit par le ralliement de toutes les droites à un projet autoritaire excluant toute espèce de différence. Il est donc clairement antisémite et puise son inspiration dans la « terre » et le « sang », chers à Maurice Barrès. « Ce nationalisme vise à exclure et non à rassembler, autour d’un contrat social, comme l’entendait la tradition des Lumières », ajoute Philippe Darriulat. Difficile, donc, d’opposer patriotisme de gauche et nationalisme de droite, d’autant que les deux termes ne sont pas contemporains.
La défaite de l’armée française contre l’Allemagne, en 1870, a-t-elle contribué à renforcer le sentiment de nationalisme dans l’Hexagone ?
Cette question en appelle une autre : comment l’idée du sentiment national est-elle née ? « Celui-ci n’a jamais rien de spontané, prévient Philippe Darriulat. C’est une création politique. Depuis Ernst Gellner, tous les historiens s’accordent à penser que ce ne sont pas les nations qui font les nationalistes, mais les nationalistes qui font les nations ». L’identité nationale est donc une création politique qui ne repose ni sur l’histoire, ni sur le passé.
Après 1870, les Français n’ont pas souhaité entrer en guerre contre l’Allemagne pour se venger, en créant un sentiment national. En revanche, tous les spécialistes estiment qu’au lendemain du conflit franco-prussien, un nationalisme d’État s’est développé, renforcé par la République, à partir d’un projet commun et partagé. Il s’est forgé autour de l’éducation, des pratiques sportives et de l’achèvement de l’unification linguistique. La défaite a servi de prétexte à l’élaboration d’un mythe politique, sans le moindre fondement. Et pour être clair, il a été créé de toutes pièces. Cette instrumentalisation a été menée par l’État.
Difficile de ne pas citer Renan et sa célèbre conférence de 1882 : « qu’est-ce qu’une Nation ? » Après avoir rejeté tout amalgame avec la race et la religion, il la décrit comme un « plébiscite permanent ». « Les gouvernants du début des années 1880 enracinèrent le désir de « vivre ensemble » par les lois républicaines de la liberté de la presse, de réunion, de l’exercice du droit syndical, la création de l’école laïque, plus tard la séparation des Églises et de l’Etat, rappelle Jean-Pierre Azéma. Les choix paraissaient alors encore relativement simples », avant l’avènement du boulangisme et l’Affaire Dreyfus qui ont rallumé la guerre franco-française. Et posé les bases d’un fascisme à la sauce hexagonale incarné plus tard par Barrès et Maurras.
Comment les notions de patriotisme et de nationalisme évoluent-elles au fil du vingtième siècle ?
La question du nationalisme prend une nouvelle dimension au travers du totalitarisme fasciste. Le fait marquant est l’émergence d’une pensée extrémiste qui conduit la logique d’exclusion à son paroxysme au travers du génocide. Un deuxième élément marque l’évolution du sentiment patriotique : la décolonisation. Après avoir été un outil de construction de l’identité nationale, celle-ci apparaît comme un projet politique pour celles et ceux qui ont souhaité se libérer de la tutelle des occupants.
Bruno Tranchant
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