Gilles Finchelstein ou l’apologie du « slow movement »
samedi 14 mai 2011
Invité des Entretiens de Solferino, le 11 mai, autour de son livre, La dictature de l’urgence (Fayard, 2011), Gilles Finchelstein directeur général de la Fondation Jean-Jaurès, s’est livré à une véritable apologie du « temps long ». Seul moyen, assure-t-il, de sortir du culte de l’instant et de la vitesse. Et d’échapper, ainsi au dictat du « temps court ».
« Prendre son temps est encore le meilleur moyen d’en gagner : les décisions sont alors mieux pensées, mieux comprises et donc mieux acceptées. » Gilles Finchelstein en est convaincu : aujourd’hui, plus encore qu’hier, il nous faut retrouver l’ambition du futur, d’autant que les bouleversements que nous traversons sont si rapides et si imprévisibles, que plus personne n’ose se projeter vers l’avenir. Son credo : donner du sens au temps, en dressant des perspectives et en retrouvant l’ambition du futur. Dans le prolongement du débat sur la « société de l’accélération » organisé l’an passé à La Rochelle, en présence du philosophe Paul Virilio, la question fait débat. « Ce livre vient à point nommé, résume Emmanuel Maurel, Secrétaire national en charge des Universités permanentes et d’été. Il apporte des réponses à ceux qui s’interrogent sur le temps long et les effets du court-termisme. » Tous les domaines de la vie, publics comme privés, sont affectés par les évolutions en cours. Au point que la démocratie, elle-même, semble parfois dépassée face aux exigences d’immédiateté et d’instantanéité. L’accélération contribue ainsi à creuser le fossé entre une opinion qui ne supporte plus d’attendre les résultats des politiques menées et le politique qui a besoin de temps pour réfléchir et construire.
« Le mail fait gagner du temps à celui qui les envoie et en fait perdre à celui qui le reçoit », s’amuse Gilles Finchelstein, en guise de clin d’œil. Manière, pour l’intéressé, de s’interroger sur le sens de la « dictature de l’urgence », au-delà de l’intuition. Laquelle correspond à une réalité bien plus grande encore qu’à celle qu’il pressentait auparavant. « L’économie de la mode, du cinéma, notre rapport à la santé, à l’information, notre diction… tout s’accélère ! », constate-t-il. L’exemple vaut également pour la finance dont le rythme ne cesse de s’accélérer. La durée de détention moyenne d’une action est passée ainsi de cinq ans à 365 jours, en l’espace de quelques années. Idem pour les exigences de rentabilités du capital qui ont imposé un nouveau rythme à l’économie réelle, conduisant à des changements profonds dans l’accélération du travail. Cette intensification n’est d’ailleurs pas sans conséquence sur la vie des salariés.
Changement de paradigme
« Le rythme effréné de l’adoption des lois obéit à une même logique, renchérit-il. Tant et si bien que tout ou partie des textes soumis à l’Assemblée est soumis aux procédures d’urgence. » Et de citer l’explosion du nombre de comparutions immédiates, depuis 2007, qui est la manifestation d’une accélération de la justice.
Phénomène récent ou pas ? « Nous sommes dans une phase d’accélération dans l’accélération », analyse Gilles Finchelstein. La puissance des réseaux, la puissance de calcul des ordinateurs, leur capacité de mémoire a décuplé au fil des années. Le poids de la mondialisation pèse lui aussi sur l’intensification du travail, au même titre que le rapport à l’argent, le triomphe de la cupidité et la volonté de quelques-uns de s’enrichir sur le dos de la population.
« Ce nouveau rapport au temps place nos sociétés sous tension, poursuit-il. Au point de bousculer l’universalisme républicain, l’égalitarisme et l’État, mal-à-l’aise dans le rapport au temps. » Gouverner dans l’instant, c’est se priver du sens de l’anticipation, au mépris du futur, martèle-t-il. Difficile, ainsi, de se projeter sur les grandes mégapoles de demain et de se préparer à la poussée démographique qui se dessine. « Il nous faut redonner du temps au temps », veut-il croire, avant de pointer, au détour d’une phrase, le rythme effréné de la communication élyséenne qui ne fait que « démonétiser » la parole présidentielle. « Le temps de Nicolas Sarkozy est toujours divisé par deux ou trois, comme autant de symboles de son supposé volontarisme », ironise-t-il.
Inutile, dans ces conditions, de répondre à l’accélération par l’accélération. Et de fustiger, dans la foulée, ces théoriciens de la décroissance, auxquels il oppose un modèle fondé sur le principe de décélération. « L’urgence n’est pas seulement dans le culte de la vitesse, souligne Gilles Finchelstein. À tout traiter sous ce seul paradigme, on prend le risque de perdre de vue l’essentiel. D’où la nécessité de donner du sens au temps et de changer notre rapport au temps », insiste-t-il.
Questionnements
L’urgence, payante électoralement ? Capitalisme et dictature de l’urgence sont-ils compatibles ? Quelles réponses apporter aux théoriciens de la décroissance ? Est-il possible de concilier vitesse et urgence ? Les questions fusent. « Nous vivons sous l’emprise du culte de la vitesse, du temps compressé et du temps saturé, clame Gilles Finchelstein. Ces trois phénomènes traduisent notre nouveau rapport au temps. » On ne s’attache guère qu’à ce qui est urgent, oubliant au passage ce qui est pourtant essentiel. « La meilleure réponse à une situation de crise, c’est de résister à la dictature de l’urgence », avance-t-il encore. Et d’appeler à une réflexion de fond sur la notion de décélération, en mettant l’accent sur notre modèle de développement. « Les Français ont le sentiment d’être dans l’urgence. Il nous faut donc nous projeter sur le temps long, en pariant sur l’intelligence collective », analyse-t-il.
Comment conjurer la dictature des médias ? De quelle marge de manœuvre disposons-nous face à l’accélération subite du temps ? Ne convient-il pas de donner du temps à nos concitoyens pour leur permettre de s’informer et de consulter ? Quid de l’aspect sociologique du temps appliqué à l’être humain ? Le débat monte d’un cran. « La concurrence entre médias est plus forte que par le passé, note l’auteur. Elle entraîne une véritable course de vitesse, accentuée par l’avènement du numérique. »
Rien n’interdit, pourtant, au pouvoir politique d’agir rationnellement, en laissant du temps à la vie parlementaire et à la négociation sociale… « Tout n’accélère pas ! Notre rapport au temps est subjectif », conclue-t-il. De quoi alimenter notre réflexion sur le diktat de l’instantanéité et la nécessité pour tous de trouver des temps de respiration, en résistant autant que faire se peut à cette « dictature de l’urgence » qui pèse sur chacune de nos existences.
Bruno Tranchant
Gilles Finchelstein, La dictature de l’urgence, Fayard, 2011
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