L’Île-de-France ou l’histoire d’une lente mutation
dimanche 19 avril 2009 par B.TRANCHANT
L’Ile-de-France (11 130 000 habitants, en 2003, pour une superficie de 12 011 km2) n’a pas toujours porté ce nom ni connu les limites que nous lui connaissons, incluant la ville de Paris et les départements de l’Essonne, des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis, de la Seine-et-Marne, du Val-d’Oise, du Val-de-Marne et des Yvelines. Ses frontières se confondent en partie avec la région parisienne, sans s’y identifier totalement. Retour sur plusieurs siècles d’histoire.
Un petit domaine perdu dans le nord du royaume, aux mains des Capétiens. L’histoire francilienne se confond avec celle des monarques féodaux qui n’eurent de cesse, tout au long de la période médiévale, d’affirmer leur pouvoir, en prenant appui sur la capitale. Les activités marchandes et artisanales s’y développèrent alors, tandis que les terres fertiles du Parisis et de la Beauce fournirent les céréales que les moulins transformèrent en farine.
L’Île-de-France devint ainsi le « grenier à blé » de la France, qui vit croître peu à peu sa population et son influence. Le Louvre de Philippe Auguste témoigna de cette puissance grandissante. Avec la création de la Sorbonne, en 1253, Paris se transforma aussi en un haut lieu du savoir et de la culture, jamais démenti depuis.
Unité géographique et linguistique
Le nom même d’« Île-de-France » serait apparu en 1387, à en croire le chroniqueur Froissart, se substituant ainsi au « pays de France », en référence à la plaine située au nord de la Seine. Avec une unité linguistique délimitée par l’Oise, la Marne et la Seine qui en firent une province à part entière dotée d’un bassin sédimentaire constitué de plateaux où s’encaissent des vallées. Sa situation centrale, l’horizontalité du relief et une remarquable convergence hydrographique ne firent qu’amplifier ce sentiment.
Les limites de ce nouveau périmètre ne cessèrent toutefois de varier jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, au profit d’une extension de l’ouest et du nord. Elle formait alors la zone d’intérêt économique des corporations marchandes de Paris qui contribuèrent à en fixer les contours. Ce n’est qu’en 1519 que le « gouvernement d’Île-de-France » pris le nom de la région, cette institution s’ajoutant à la prévôté et vicomté de Paris, qui la précéda, et à la généralité de Paris, qui la suivit, dans des limites et avec des compétences différentes, comme il était de coutume sous l’Ancien Régime. Le rayonnement intellectuel de l’ancienne Lutèce était tel qu’on prête à l’empereur Charles-Quint ces paroles : « Lutetia non urbs, sed orbis » (Paris n’est pas une ville, c’est un Monde).
Plus d’un siècle et demi plus tard, Louis XIV amplifia ce sentiment en installant sa Cour à Versailles (1682). L’architecture privée et les grandes manufactures royales se développèrent alors comme jamais jusqu’alors. C’est toutefois la Révolution qui bouscula l’ordre établi, en soldant la disparition de la région, pour près d’un siècle et demi, au bénéfice d’un redécoupage du territoire et de l’avènement des départements.
Fortunes diverses
L’Île-de-France fut ainsi fractionnée entre la Seine, la Seine-et-Oise et la Seine-et-Marne, qui allaient connaître des fortunes diverses. La première fut le théâtre de terribles événements durant la guerre franco-allemande de 1870-1871. Dès le 5 septembre 1870, à l’approche des troupes ennemies, des commencements de fortifications avaient été ordonnés aux alentours de la capitale. Le plateau de Châtillon, qui domine le fort d’Issy, fut totalement négligé par l’armée française, à la surprise des Prussiens qui y établirent de formidables batteries pour lancer leurs missiles.
L’implacable blocus devait durer près de cinq mois. Et le département de la Seine fut sans doute, parmi tous, celui qui paya le plus lourd tribut à la guerre. Au point que ses pertes s’élevèrent à 269 496 022 francs !
Divisé en 9 districts - Versailles, Saint-Germain-en-Laye, Mantes, Pontoise, Gonesse, Corbeil, Etampes, Dourdan, Montfort l’Amaury - et 59 cantons d’environ quatre lieues carrées, regroupant 685 villes, bourgs et paroisses, le département de Seine-et-Oise, fut tout au long de son histoire, en quête d’unité. Composé, pour l’essentiel, de bourgades rurales, il a donné naissance à la grande couronne, elle-même délimitée par les départements du Val-d’Oise, au nord, des Yvelines, à l’ouest, et de l’Essonne, au sud. La Seconde Guerre mondiale frappa durement ce territoire. Ce qui valut au Conseil général de Seine-et-Oise d’entreprendre, à partir des années 50, une vaste opération de reconstruction et de modernisation. Avec l’ambition de lutter contre les effets d’un sous-équipement structurel, l’explosion démographique et la construction de grands ensembles imposés aux communes. Ce n’est qu’au cours des années 60 que le Val d’Oise, l’Essonne et les Yvelines rattrapèrent leur retard dans ces domaines. Des trois, c’est encore la Seine-et-Marne qui occupa d’emblée le plus vaste périmètre, grâce à une superficie hors du commun et une économie fondée, pour l’essentiel, sur l’agriculture. Ce qui lui permis de se singulariser par le poids d’un secteur quasi inexistant dans les départements voisins, nettement plus urbanisés.
Après le retour de Napoléon, en 1815, cette portion du territoire avait subi deux années d’occupation qui conduisirent à la réquisition des récoltes et à des pillages. Mais, c’est surtout l’invasion allemande (6-18 septembre 1870) qui marqua profondément ce lieu de mémoire appelé à jouer un rôle important dans la distribution de blé aux armées durant la Première Guerre mondiale. Avant que de nombreuses usines locales n’y fournissent une aide logistique pour la fabrication d’explosifs à La Genevraye.
Changement de braquet
Trois destinées distinctes, un même dessein. La mutation du XIXème siècle marqua un virage décisif dans l’histoire francilienne. Et une ère de changements radicale sous le sceau de la Révolution Industrielle qui modifia du tout au tout le visage de la région à partir de 1830. L’installation d’usines, en périphérie de Paris, et le développement du chemin de fer en « toile d’araignée », qui eut pour principal effet de rapprocher la capitale des villes voisines, entraînèrent la formation de banlieues ouvrières où convergèrent les Franciliens. Les communes excentrées conservèrent, pour leur part, un aspect rural sans cesse menacé par l’extension de l’urbanisation.
Préfet de la Seine entre 1855 et 1900, Haussmann avait impulsé une dynamique nouvelle à la capitale qui allait être le théâtre de cinq expositions universelles, dont l’une donna naissance à la Tour Eiffel. Vaste entreprise qui aboutit à une complète modernisation de la plus belle ville du monde sous l’ère napoléonienne. Dans certains quartiers, la densité de population approchait il est vrai des 100 000 personnes au kilomètre carré, exposées dans leur grande majorité à des conditions d’hygiène précaires. L’État entendait, par ailleurs, mettre la main sur la capitale après une série de soulèvements populaires qui avaient abouti au renversement de plusieurs régimes, depuis 1789. Nommé préfet de la Seine, en 1853, Georges Eugène Haussmann fut chargé de donner corps aux ambitions de Napoléon III (1854-1858). Les deux hommes formèrent d’ailleurs un tandem efficace. L’Empereur ordonna d’abord l’expropriation des terrains concernés par les plans de rénovation, avant que les immeubles ne soient détruits au profit de nouveaux axes dotés d’équipements modernes (eau, gaz, égouts).
Transformation radicale
Haussmann su mettre à profit la période la plus autoritaire du règne de Napoléon III pour transformer le centre de Paris en y perçant une croisée gigantesque, tandis que la construction de l’axe nord-sud, du boulevard Sébastopol au boulevard Saint-Michel, fit disparaître de la carte de nombreuses ruelles et impasses. Dans le même temps, Baltard s’employa à façonner les Halles, tandis que l’Île de la Cité était en grande partie rasée et réaménagée.
Durant les dernières années de son mandat, Haussmann s’efforça d’aménager les arrondissements créés sur l’emplacement des communes annexées en 1860. Douze avenues, construites pour la plupart sous le Second Empire, convergèrent ainsi place de l’Étoile, tandis que plusieurs autres axes routiers permirent de traverser la capitale en direction du centre. Onze villages alentour complétaient cet ensemble. Plus connus sous le nom de communes suburbaines ou de faubourgs, ils possédaient déjà toutes les caractéristiques de ce qui allait devenir la « banlieue » après 1860. Attachés à la capitale, ils constituèrent un véritable refuge pour les plus pauvres, mais aussi des lieux de villégiatures où de petits châteaux émergèrent subitement au milieu des vignes. La main-d’œuvre peu qualifiée s’y concentra peu à peu, au bénéfice de maisons ouvrières dans lesquelles les notables parisiens voyaient à tort un possible foyer révolutionnaire.
Après 1860, les fortifications construites vingt ans plus tôt pour prévenir Paris de toute tentative d’invasion, matérialisèrent la séparation entre la capitale et la banlieue. Construites à l’emplacement de l’actuel boulevard périphérique, elles ne furent détruites qu’en 1919. Ce rejet des classes laborieuses à la périphérie conduisit à une véritable scission entre prolétariat et bourgeoisie. Le Val-de-Marne ne fit à cet égard pas exception à la règle. La classe ouvrière y fut d’ailleurs largement dominante, à l’exception de la rive droite de la Marne.
Cette banlieue qui fait peur
Dans le même temps, la région francilienne poursuivit inlassablement son essor industriel. Depuis 1810, de nombreux entrepreneurs s’étaient installés au-delà des fortifications pour échapper à l’octroi. Tant et si bien que sur cent industries qui se développèrent entre 1860 et 1872, plus de la moitié étaient basées hors de Paris. Détail d’autant plus important qu’à la veille de la Grande Guerre, la suprématie industrielle de la banlieue ne souffrait aucun doute. Saint-Denis, Clichy ou Charenton se couvrirent ainsi de hautes cheminées, tandis qu’Ivry, qui servit longtemps de base champêtre aux Parisiens, fut subitement infestée par les odeurs des usines chimiques. Véritable foyer d’agitation sociale, la banlieue attisait désormais les peurs. Forts de ce constat, architectes et urbanistes ne parvinrent pas à s’entendre sur un schéma de développement cohérent. D’où une impression de gâchis qui se solda par la destruction massive d’un patrimoine séculaire, la construction désordonnée de pavillons, collés aux usines ou aux voies de chemin de fer. Aucune logique d’ensemble ne fut respectée. Au lieu de s’interroger sur les besoins urbanistiques et de construire des infrastructures routières en conséquence, les intéressés cédèrent à une pulsion irrationnelle à laquelle les élus n’eurent guère que leur fierté à opposer, avec la volonté d’en finir avec les « empiètements et les privilèges de Paris ».
Rapprochement
Le temps fit son œuvre. Les blessures de la Grande Guerre et de la bataille de la Marne n’empêchèrent nullement le processus d’industrialisation de se poursuivre. La démolition des fortifications, entre 1919 et 1930, rendit possible le rapprochement de Paris et de la proche banlieue, où l’habitat, on le sait, se développa de manière spectaculaire. Ce qui valut d’ailleurs au département de la Seine de basculer à gauche à la faveur des élections municipales de 1935 qui permit au Parti communiste d’enlever quelque 26 communes (contre 11 en 1929), la crise économique et la situation des mal lotis étant un facteur d’explication.
Une ceinture rouge se créa, contrebalancée par les résultats de villes plus résidentielles telles que Rungis ou Créteil. Ces élections n’en marquèrent pas moins un tournant décisif en matière d’urbanisme. Une architecture harmonieuse et fonctionnelle se développa alors en Île-de-France qui allait bientôt se répercuter sur la construction en général.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les « grands ensembles » urbains virent le jour dans un temps record, en vue de loger les populations issues de l’exode rural ou du continent africain. Mais il fallut attendre 1965 et le premier schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme pour voir se dessiner une véritable politique d’urbanisme et de transports, à l’échelle francilienne (cf. ci-dessous). Pour décongestionner Paris, on décida alors de créer le Réseau express régional (RER) et de bâtir des villes nouvelles : Cergy-Pontoise, Évry, Marne-la-Vallée, Melun-Sénart et Saint-Quentin-en-Yvelines.
En 1964, le nombre de départements avait été porté de trois à huit. L’ancienne capitale des Parisis en formait un à part entière, tandis que sa périphérie et la Seine-et-Oise furent scindées entre la Seine-Saint-Denis, les Hauts-de-Seine, le Val-de-Marne, l’Essonne, les Yvelines et le Val d’Oise. La Seine-et-Marne occupa quant à elle la partie orientale de l’Île-de-France, qui devait obtenir le statut de région administrative en 1976.
Terres de contrastes
Loin d’être uniforme, l’organisation de l’espace francilien obéit depuis lors à des formes variées et des échelles différentes. Deux cadres dominent la géographie régionale : un modèle centre-périphérie, distinguant schématiquement Paris, la petite et la grande couronne, et un modèle ouest-est, qui oppose l’« ouest parisien » au statut social privilégié au reste de la région, plus hétérogène et populaire. Le second est déterminé, pour l’essentiel, par l’existence d’un « triangle doré » comprenant la moitié sud des Hauts-de-Seine, la plus grande partie des Yvelines et la frange ouest de l’Essonne. Il concentre, à lui seul, les deux tiers des cadres franciliens, ainsi que les hauts revenus qui y trouvent des conditions de vie à la hauteur de leurs attentes.
Le contraste est saisissant avec le nord-est, plus populaire et marqué par des difficultés sociales récurrentes. Centrée principalement sur la Seine-Saint-Denis, cette zone déborde au sud sur les arrondissements parisiens, à l’ouest sur la moitié nord des Hauts-de-Seine, de Nanterre à Gennevilliers, au nord sur le Val-d’Oise, de Sarcelles à Goussainville. S’ensuit une répartition des emplois qui vaut à l’ouest d’accueillir des activités de service et de direction et au nord-est d’hériter des principaux centres de fabrication. La supériorité affichée par l’ouest sur l’est en matière d’emplois et de l’est en nombre de résidents se traduisent tout naturellement par une dissymétrie des mouvements pendulaires, qui saturent les lignes de transport dans le sens est-ouest en matinée, et dans l’autre direction en soirée. Le reste de la région est nettement plus hétérogène, et s’inscrit dans un modèle de type centre-périphérie.
Petite couronne
La petite couronne, définie par les territoires des Hauts-de-Seine, de Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne, correspond à peu de choses près à l’ancien département de la Seine, avant l’entrée en application de la réforme de 1964, sans Paris, devenue depuis ville et département. Petite, peuplée, et fortement urbanisée, elle se rapproche de Paris, contrairement à la grande couronne, dont 15,5 % du territoire seulement est urbain. Composée de grands ensembles, de lotissements pavillonnaires datant de l’entre-deux-guerres et de zones industrielles, elle se trouve handicapée par le passage d’une route nationale à grand trafic que les urbanistes tentent bon gré mal gré de rendre plus supportable.
Au cours des vingt dernières années, le processus de modernisation s’est accéléré en bordure de la capitale, les anciens faubourgs industriels cédant la place à un rideau d’immeubles ultramodernes accueillant des entreprises en mal d’expansion. La partie ouest de cette frange accueille une population au statut socio-économique plus élevé que jadis, à Levallois, Boulogne-Billancourt ou Issy-les-Moulineaux, notamment. De grandes surfaces commerciales y ont poussé profitant aussi bien aux Parisiens qu’aux banlieusards. Après avoir vu vieillir ses faubourgs, son industrie, ses lotissements et ses grands ensembles, la proche banlieue retrouve ainsi un dynamisme que lui avait ravi depuis longtemps la grande couronne.
Grande couronne
Délimitée par les départements du Val-d’Oise au nord, des Yvelines à l’ouest et de l’Essonne au sud - tous trois issus du démembrement de l’ancienne Seine-et-Oise en 1964 -, ainsi que par la Seine-et-Marne à l’est, cette dernière occupe l’essentiel de la surface francilienne (94 %, soit 11 310 km2). Avec 4 877 000 habitants recensés en 2003, elle concentre à elle seule 44 % de la population régionale, en forte hausse depuis les années 1960 (2 250 000 habitants en 1962). Rurale, pour l’essentiel, elle abrite des noyaux urbains anciens (Versailles, Saint-Germain-en-Laye, Melun, Fontainebleau...) et nouveaux (« villes nouvelles »), ainsi que de grands ensembles où règne en maître l’habitat collectif.
Mais, à la différence de Paris et de la petite couronne, ces derniers se retrouvent souvent isolés géographiquement. Au sortir de la guerre, l’industrie et plusieurs grands équipements ont investi ce vaste territoire où dominent l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle et le pôle technologique et universitaire du plateau de Saclay (Essonne). Lequel accueille une partie importante de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Une part non négligeable de la croissance tient cependant dans l’essor des « villes nouvelles » dont le succès repose sur leur capacité à accueillir un nombre équivalent d’emplois et d’habitants (7,3 % de l’emploi salarié d’Île-de-France en 2000 pour 6,8 % de la population). D’où une forte recrudescence d’équipements pour surseoir aux besoins grandissants de la population, composée, pour l’essentiel, d’employés et de membres des classes moyennes et supérieures.
Aménagements successifs
Nul doute, dans ces conditions, que l’aménagement de la Région Île-de-France ait prêté à de nombres péripéties. Après la mise au point du plan Prost dans l’entre-deux-guerres, approuvé le 22 juin 1939 et entré en application après 1945, le plan d’aménagement et d’organisation générale de la région, adopté en 1960, se solda par un échec retentissant, en dépit de quelques avancées intéressantes telles que les « noyaux restructurateurs de la banlieue ». La mise à mal de cette politique conduisit à l’élaboration du schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme de la région parisienne de 1965, concocté par Paul Delouvrier sous les ordres du général de Gaulle. On lui doit, en particulier, les villes nouvelles dont il vient d’être question et qui étaient censées répondre aux conséquences attendues d’un essor démographique sans précédant. 11 millions de personnes vinrent s’y installer en 2000. Plus modeste, le schéma directeur de 1994 fut élaboré dans le cadre du processus de décentralisation. Il fut suivi, à l’automne 2004, d’une nouvelle révision lancée sous l’autorité de la Région et non de l’État. Avec l’ambition sans cesse réaffirmée depuis de surseoir aux problèmes du chômage et d’affirmer la compétitivité du territoire.
Bruno Tranchant
L’Île-de-France devint ainsi le « grenier à blé » de la France, qui vit croître peu à peu sa population et son influence. Le Louvre de Philippe Auguste témoigna de cette puissance grandissante. Avec la création de la Sorbonne, en 1253, Paris se transforma aussi en un haut lieu du savoir et de la culture, jamais démenti depuis.
Unité géographique et linguistique
Le nom même d’« Île-de-France » serait apparu en 1387, à en croire le chroniqueur Froissart, se substituant ainsi au « pays de France », en référence à la plaine située au nord de la Seine. Avec une unité linguistique délimitée par l’Oise, la Marne et la Seine qui en firent une province à part entière dotée d’un bassin sédimentaire constitué de plateaux où s’encaissent des vallées. Sa situation centrale, l’horizontalité du relief et une remarquable convergence hydrographique ne firent qu’amplifier ce sentiment.
Les limites de ce nouveau périmètre ne cessèrent toutefois de varier jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, au profit d’une extension de l’ouest et du nord. Elle formait alors la zone d’intérêt économique des corporations marchandes de Paris qui contribuèrent à en fixer les contours. Ce n’est qu’en 1519 que le « gouvernement d’Île-de-France » pris le nom de la région, cette institution s’ajoutant à la prévôté et vicomté de Paris, qui la précéda, et à la généralité de Paris, qui la suivit, dans des limites et avec des compétences différentes, comme il était de coutume sous l’Ancien Régime. Le rayonnement intellectuel de l’ancienne Lutèce était tel qu’on prête à l’empereur Charles-Quint ces paroles : « Lutetia non urbs, sed orbis » (Paris n’est pas une ville, c’est un Monde).
Plus d’un siècle et demi plus tard, Louis XIV amplifia ce sentiment en installant sa Cour à Versailles (1682). L’architecture privée et les grandes manufactures royales se développèrent alors comme jamais jusqu’alors. C’est toutefois la Révolution qui bouscula l’ordre établi, en soldant la disparition de la région, pour près d’un siècle et demi, au bénéfice d’un redécoupage du territoire et de l’avènement des départements.
Fortunes diverses
L’Île-de-France fut ainsi fractionnée entre la Seine, la Seine-et-Oise et la Seine-et-Marne, qui allaient connaître des fortunes diverses. La première fut le théâtre de terribles événements durant la guerre franco-allemande de 1870-1871. Dès le 5 septembre 1870, à l’approche des troupes ennemies, des commencements de fortifications avaient été ordonnés aux alentours de la capitale. Le plateau de Châtillon, qui domine le fort d’Issy, fut totalement négligé par l’armée française, à la surprise des Prussiens qui y établirent de formidables batteries pour lancer leurs missiles.
L’implacable blocus devait durer près de cinq mois. Et le département de la Seine fut sans doute, parmi tous, celui qui paya le plus lourd tribut à la guerre. Au point que ses pertes s’élevèrent à 269 496 022 francs !
Divisé en 9 districts - Versailles, Saint-Germain-en-Laye, Mantes, Pontoise, Gonesse, Corbeil, Etampes, Dourdan, Montfort l’Amaury - et 59 cantons d’environ quatre lieues carrées, regroupant 685 villes, bourgs et paroisses, le département de Seine-et-Oise, fut tout au long de son histoire, en quête d’unité. Composé, pour l’essentiel, de bourgades rurales, il a donné naissance à la grande couronne, elle-même délimitée par les départements du Val-d’Oise, au nord, des Yvelines, à l’ouest, et de l’Essonne, au sud. La Seconde Guerre mondiale frappa durement ce territoire. Ce qui valut au Conseil général de Seine-et-Oise d’entreprendre, à partir des années 50, une vaste opération de reconstruction et de modernisation. Avec l’ambition de lutter contre les effets d’un sous-équipement structurel, l’explosion démographique et la construction de grands ensembles imposés aux communes. Ce n’est qu’au cours des années 60 que le Val d’Oise, l’Essonne et les Yvelines rattrapèrent leur retard dans ces domaines. Des trois, c’est encore la Seine-et-Marne qui occupa d’emblée le plus vaste périmètre, grâce à une superficie hors du commun et une économie fondée, pour l’essentiel, sur l’agriculture. Ce qui lui permis de se singulariser par le poids d’un secteur quasi inexistant dans les départements voisins, nettement plus urbanisés.
Après le retour de Napoléon, en 1815, cette portion du territoire avait subi deux années d’occupation qui conduisirent à la réquisition des récoltes et à des pillages. Mais, c’est surtout l’invasion allemande (6-18 septembre 1870) qui marqua profondément ce lieu de mémoire appelé à jouer un rôle important dans la distribution de blé aux armées durant la Première Guerre mondiale. Avant que de nombreuses usines locales n’y fournissent une aide logistique pour la fabrication d’explosifs à La Genevraye.
Changement de braquet
Trois destinées distinctes, un même dessein. La mutation du XIXème siècle marqua un virage décisif dans l’histoire francilienne. Et une ère de changements radicale sous le sceau de la Révolution Industrielle qui modifia du tout au tout le visage de la région à partir de 1830. L’installation d’usines, en périphérie de Paris, et le développement du chemin de fer en « toile d’araignée », qui eut pour principal effet de rapprocher la capitale des villes voisines, entraînèrent la formation de banlieues ouvrières où convergèrent les Franciliens. Les communes excentrées conservèrent, pour leur part, un aspect rural sans cesse menacé par l’extension de l’urbanisation.
Préfet de la Seine entre 1855 et 1900, Haussmann avait impulsé une dynamique nouvelle à la capitale qui allait être le théâtre de cinq expositions universelles, dont l’une donna naissance à la Tour Eiffel. Vaste entreprise qui aboutit à une complète modernisation de la plus belle ville du monde sous l’ère napoléonienne. Dans certains quartiers, la densité de population approchait il est vrai des 100 000 personnes au kilomètre carré, exposées dans leur grande majorité à des conditions d’hygiène précaires. L’État entendait, par ailleurs, mettre la main sur la capitale après une série de soulèvements populaires qui avaient abouti au renversement de plusieurs régimes, depuis 1789. Nommé préfet de la Seine, en 1853, Georges Eugène Haussmann fut chargé de donner corps aux ambitions de Napoléon III (1854-1858). Les deux hommes formèrent d’ailleurs un tandem efficace. L’Empereur ordonna d’abord l’expropriation des terrains concernés par les plans de rénovation, avant que les immeubles ne soient détruits au profit de nouveaux axes dotés d’équipements modernes (eau, gaz, égouts).
Transformation radicale
Haussmann su mettre à profit la période la plus autoritaire du règne de Napoléon III pour transformer le centre de Paris en y perçant une croisée gigantesque, tandis que la construction de l’axe nord-sud, du boulevard Sébastopol au boulevard Saint-Michel, fit disparaître de la carte de nombreuses ruelles et impasses. Dans le même temps, Baltard s’employa à façonner les Halles, tandis que l’Île de la Cité était en grande partie rasée et réaménagée.
Durant les dernières années de son mandat, Haussmann s’efforça d’aménager les arrondissements créés sur l’emplacement des communes annexées en 1860. Douze avenues, construites pour la plupart sous le Second Empire, convergèrent ainsi place de l’Étoile, tandis que plusieurs autres axes routiers permirent de traverser la capitale en direction du centre. Onze villages alentour complétaient cet ensemble. Plus connus sous le nom de communes suburbaines ou de faubourgs, ils possédaient déjà toutes les caractéristiques de ce qui allait devenir la « banlieue » après 1860. Attachés à la capitale, ils constituèrent un véritable refuge pour les plus pauvres, mais aussi des lieux de villégiatures où de petits châteaux émergèrent subitement au milieu des vignes. La main-d’œuvre peu qualifiée s’y concentra peu à peu, au bénéfice de maisons ouvrières dans lesquelles les notables parisiens voyaient à tort un possible foyer révolutionnaire.
Après 1860, les fortifications construites vingt ans plus tôt pour prévenir Paris de toute tentative d’invasion, matérialisèrent la séparation entre la capitale et la banlieue. Construites à l’emplacement de l’actuel boulevard périphérique, elles ne furent détruites qu’en 1919. Ce rejet des classes laborieuses à la périphérie conduisit à une véritable scission entre prolétariat et bourgeoisie. Le Val-de-Marne ne fit à cet égard pas exception à la règle. La classe ouvrière y fut d’ailleurs largement dominante, à l’exception de la rive droite de la Marne.
Cette banlieue qui fait peur
Dans le même temps, la région francilienne poursuivit inlassablement son essor industriel. Depuis 1810, de nombreux entrepreneurs s’étaient installés au-delà des fortifications pour échapper à l’octroi. Tant et si bien que sur cent industries qui se développèrent entre 1860 et 1872, plus de la moitié étaient basées hors de Paris. Détail d’autant plus important qu’à la veille de la Grande Guerre, la suprématie industrielle de la banlieue ne souffrait aucun doute. Saint-Denis, Clichy ou Charenton se couvrirent ainsi de hautes cheminées, tandis qu’Ivry, qui servit longtemps de base champêtre aux Parisiens, fut subitement infestée par les odeurs des usines chimiques. Véritable foyer d’agitation sociale, la banlieue attisait désormais les peurs. Forts de ce constat, architectes et urbanistes ne parvinrent pas à s’entendre sur un schéma de développement cohérent. D’où une impression de gâchis qui se solda par la destruction massive d’un patrimoine séculaire, la construction désordonnée de pavillons, collés aux usines ou aux voies de chemin de fer. Aucune logique d’ensemble ne fut respectée. Au lieu de s’interroger sur les besoins urbanistiques et de construire des infrastructures routières en conséquence, les intéressés cédèrent à une pulsion irrationnelle à laquelle les élus n’eurent guère que leur fierté à opposer, avec la volonté d’en finir avec les « empiètements et les privilèges de Paris ».
Rapprochement
Le temps fit son œuvre. Les blessures de la Grande Guerre et de la bataille de la Marne n’empêchèrent nullement le processus d’industrialisation de se poursuivre. La démolition des fortifications, entre 1919 et 1930, rendit possible le rapprochement de Paris et de la proche banlieue, où l’habitat, on le sait, se développa de manière spectaculaire. Ce qui valut d’ailleurs au département de la Seine de basculer à gauche à la faveur des élections municipales de 1935 qui permit au Parti communiste d’enlever quelque 26 communes (contre 11 en 1929), la crise économique et la situation des mal lotis étant un facteur d’explication.
Une ceinture rouge se créa, contrebalancée par les résultats de villes plus résidentielles telles que Rungis ou Créteil. Ces élections n’en marquèrent pas moins un tournant décisif en matière d’urbanisme. Une architecture harmonieuse et fonctionnelle se développa alors en Île-de-France qui allait bientôt se répercuter sur la construction en général.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les « grands ensembles » urbains virent le jour dans un temps record, en vue de loger les populations issues de l’exode rural ou du continent africain. Mais il fallut attendre 1965 et le premier schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme pour voir se dessiner une véritable politique d’urbanisme et de transports, à l’échelle francilienne (cf. ci-dessous). Pour décongestionner Paris, on décida alors de créer le Réseau express régional (RER) et de bâtir des villes nouvelles : Cergy-Pontoise, Évry, Marne-la-Vallée, Melun-Sénart et Saint-Quentin-en-Yvelines.
En 1964, le nombre de départements avait été porté de trois à huit. L’ancienne capitale des Parisis en formait un à part entière, tandis que sa périphérie et la Seine-et-Oise furent scindées entre la Seine-Saint-Denis, les Hauts-de-Seine, le Val-de-Marne, l’Essonne, les Yvelines et le Val d’Oise. La Seine-et-Marne occupa quant à elle la partie orientale de l’Île-de-France, qui devait obtenir le statut de région administrative en 1976.
Terres de contrastes
Loin d’être uniforme, l’organisation de l’espace francilien obéit depuis lors à des formes variées et des échelles différentes. Deux cadres dominent la géographie régionale : un modèle centre-périphérie, distinguant schématiquement Paris, la petite et la grande couronne, et un modèle ouest-est, qui oppose l’« ouest parisien » au statut social privilégié au reste de la région, plus hétérogène et populaire. Le second est déterminé, pour l’essentiel, par l’existence d’un « triangle doré » comprenant la moitié sud des Hauts-de-Seine, la plus grande partie des Yvelines et la frange ouest de l’Essonne. Il concentre, à lui seul, les deux tiers des cadres franciliens, ainsi que les hauts revenus qui y trouvent des conditions de vie à la hauteur de leurs attentes.
Le contraste est saisissant avec le nord-est, plus populaire et marqué par des difficultés sociales récurrentes. Centrée principalement sur la Seine-Saint-Denis, cette zone déborde au sud sur les arrondissements parisiens, à l’ouest sur la moitié nord des Hauts-de-Seine, de Nanterre à Gennevilliers, au nord sur le Val-d’Oise, de Sarcelles à Goussainville. S’ensuit une répartition des emplois qui vaut à l’ouest d’accueillir des activités de service et de direction et au nord-est d’hériter des principaux centres de fabrication. La supériorité affichée par l’ouest sur l’est en matière d’emplois et de l’est en nombre de résidents se traduisent tout naturellement par une dissymétrie des mouvements pendulaires, qui saturent les lignes de transport dans le sens est-ouest en matinée, et dans l’autre direction en soirée. Le reste de la région est nettement plus hétérogène, et s’inscrit dans un modèle de type centre-périphérie.
Petite couronne
La petite couronne, définie par les territoires des Hauts-de-Seine, de Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne, correspond à peu de choses près à l’ancien département de la Seine, avant l’entrée en application de la réforme de 1964, sans Paris, devenue depuis ville et département. Petite, peuplée, et fortement urbanisée, elle se rapproche de Paris, contrairement à la grande couronne, dont 15,5 % du territoire seulement est urbain. Composée de grands ensembles, de lotissements pavillonnaires datant de l’entre-deux-guerres et de zones industrielles, elle se trouve handicapée par le passage d’une route nationale à grand trafic que les urbanistes tentent bon gré mal gré de rendre plus supportable.
Au cours des vingt dernières années, le processus de modernisation s’est accéléré en bordure de la capitale, les anciens faubourgs industriels cédant la place à un rideau d’immeubles ultramodernes accueillant des entreprises en mal d’expansion. La partie ouest de cette frange accueille une population au statut socio-économique plus élevé que jadis, à Levallois, Boulogne-Billancourt ou Issy-les-Moulineaux, notamment. De grandes surfaces commerciales y ont poussé profitant aussi bien aux Parisiens qu’aux banlieusards. Après avoir vu vieillir ses faubourgs, son industrie, ses lotissements et ses grands ensembles, la proche banlieue retrouve ainsi un dynamisme que lui avait ravi depuis longtemps la grande couronne.
Grande couronne
Délimitée par les départements du Val-d’Oise au nord, des Yvelines à l’ouest et de l’Essonne au sud - tous trois issus du démembrement de l’ancienne Seine-et-Oise en 1964 -, ainsi que par la Seine-et-Marne à l’est, cette dernière occupe l’essentiel de la surface francilienne (94 %, soit 11 310 km2). Avec 4 877 000 habitants recensés en 2003, elle concentre à elle seule 44 % de la population régionale, en forte hausse depuis les années 1960 (2 250 000 habitants en 1962). Rurale, pour l’essentiel, elle abrite des noyaux urbains anciens (Versailles, Saint-Germain-en-Laye, Melun, Fontainebleau...) et nouveaux (« villes nouvelles »), ainsi que de grands ensembles où règne en maître l’habitat collectif.
Mais, à la différence de Paris et de la petite couronne, ces derniers se retrouvent souvent isolés géographiquement. Au sortir de la guerre, l’industrie et plusieurs grands équipements ont investi ce vaste territoire où dominent l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle et le pôle technologique et universitaire du plateau de Saclay (Essonne). Lequel accueille une partie importante de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Une part non négligeable de la croissance tient cependant dans l’essor des « villes nouvelles » dont le succès repose sur leur capacité à accueillir un nombre équivalent d’emplois et d’habitants (7,3 % de l’emploi salarié d’Île-de-France en 2000 pour 6,8 % de la population). D’où une forte recrudescence d’équipements pour surseoir aux besoins grandissants de la population, composée, pour l’essentiel, d’employés et de membres des classes moyennes et supérieures.
Aménagements successifs
Nul doute, dans ces conditions, que l’aménagement de la Région Île-de-France ait prêté à de nombres péripéties. Après la mise au point du plan Prost dans l’entre-deux-guerres, approuvé le 22 juin 1939 et entré en application après 1945, le plan d’aménagement et d’organisation générale de la région, adopté en 1960, se solda par un échec retentissant, en dépit de quelques avancées intéressantes telles que les « noyaux restructurateurs de la banlieue ». La mise à mal de cette politique conduisit à l’élaboration du schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme de la région parisienne de 1965, concocté par Paul Delouvrier sous les ordres du général de Gaulle. On lui doit, en particulier, les villes nouvelles dont il vient d’être question et qui étaient censées répondre aux conséquences attendues d’un essor démographique sans précédant. 11 millions de personnes vinrent s’y installer en 2000. Plus modeste, le schéma directeur de 1994 fut élaboré dans le cadre du processus de décentralisation. Il fut suivi, à l’automne 2004, d’une nouvelle révision lancée sous l’autorité de la Région et non de l’État. Avec l’ambition sans cesse réaffirmée depuis de surseoir aux problèmes du chômage et d’affirmer la compétitivité du territoire.
Bruno Tranchant
Accueil du site |
Contact |
Plan du site |
Espace privé |
Statistiques |
visites : 338006
fr Actualités et manifestations INTERCOMMUNALITÉ ?