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Rencontre avec ... Pierre SINGUARAVÉLOU

Aux sources des mouvements sociaux

samedi 4 avril 2009 par B.TRANCHANT

Des premières formes d’actions collectives aux mobilisations contemporaines, les mouvements sociaux sont avant tout le fait de minorités, peu en phase avec les organisations politiques. Un entretien avec Pierre Singaravélou, membre du comité de rédaction de la revue Le Mouvement social, et professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Bordeaux 3.

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Qu’appelle-t-on au juste « mouvement social » ?
Il s’agit d’une forme d’action concertée ayant pour but la défense de revendications spécifiques, générales, voire catégorielles, au travers de pratiques comme la grève, l’occupation, la manifestation ou la pétition… Les mouvements sociaux constituent, au fond, un des rares espaces d’intervention accessible aux exclus du champ politique comme les ouvriers, les chômeurs ou les sans-papiers. Ils sont organisés par des syndicats, des associations, des mutuelles ou des coopératives qui structurent la mobilisation collective.

Quand ces « mouvements sociaux » prennent-ils forme pour la première fois ?
On peut considérer, avec le sociologue Charles Tilly, que les mouvements modernes se développent de façon non linéaire à partir du début du 19e siècle, dans la plupart des pays industrialisés. Les débrayages, en petit nombre, la destruction des machines et les mobilisations locales cèdent peu à peu la place aux manifestations massives et aux grandes grèves. Le « chartisme anglais » qui représente dans les années 1830-1840 un des principaux prototypes de mobilisation moderne, prend forme par l’intermédiaire de pétitions, de grandes grèves et de campagnes publiques.
Aux États-Unis, ce sont des associations luttant, par exemple, contre l’esclavage qui inspirent les mouvements sociaux avant l’émergence des syndicats de salariés. Réprimés, la plupart du temps, par les pouvoirs politiques et économiques, ils s’institutionnalisent progressivement au 19e siècle, sous l’effet de la Révolution industrielle, de la « nationalisation » de la vie politique, et de la légalisation des organisations ouvrières, au travers de la loi de 1884, dite Loi Waldeck-Rousseau. Cette politisation prend toute son ampleur au XXe siècle, avec les grands mouvements de grève, à l’image des mobilisations de 1936 ou 1968.

Comment les « nouveaux mouvements sociaux » sont-ils apparus ?
Ils représentent de nouvelles formes de mobilisation conceptualisées dans les années 1980, exprimant l’appartenance collective à un groupe spécifique : minorités ethniques, sexuelles… Toutefois, ils possèdent souvent une dimension contestataire qui s’inscrit dans la tradition des mouvements sociaux du début du 20e siècle.
Plus récemment, de nouveaux mouvements se sont révélés par leur capacité à mener des actions non conventionnelles, afin de perturber « l’ordre social ». Les militants d’« Agir ensemble contre le chômage » (AC !) réquisitionnent des produits alimentaires dans les supermarchés, pendant que les trublions du Droit au logement (DAL) occupent des appartements vides et que les enseignants-chercheurs promeuvent la grève active, le freezing et les mises en scène parodiques qui enrichissent les répertoires d’actions contestataires. Ces formes d’actions inventées ou réinventées s’adaptent au fonctionnement des médias qui incitent les militants à créer des événements spectaculaires. Parallèlement, face à la globalisation économique, de nouvelles formes de mobilisations se développent à l’échelle transnationale, via la construction, à partir de la fin des années 1990, d’un Mouvement social européen.

Quelles relations les socialistes entretiennent-ils avec les mouvements sociaux ?
Ils n’ont jamais vraiment été à l’aise avec le mouvement social. La SFIO, elle-même, entretenait de faibles liens avec les organisations syndicales. Et ce, même si François Mitterrand a tenté, après le congrès d’Epinay, de nouer des relations suivies avec celles-ci. Le tournant politique de 1983 a mis un terme à cette tentative de coopération que le Parti a pourtant continué à considérer comme le cœur du mouvement social. Plus largement, il n’a jamais pu s’appuyer sur les réseaux associatifs ou coopératifs qui auraient pu accompagner sa transformation en véritable parti de masse. Et si l’on envisage rétrospectivement l’histoire du PS, au 20e siècle, cette absence de liens avec les mouvements sociaux a sans doute été l’une de ses principales faiblesses.

Propos recueillis pas Bruno Tranchant


Bibliographie

- Olivier Fillieule et Danielle Tartakowsky, «  La manifestation, Paris, Presses de Sciences Po  », 2008 ;
- Frank Georgi, «  Le socialisme, les syndicats et les mouvements sociaux  », Recherche socialiste, 31/32, 2005 ;
- Institut international d’histoire sociale d’Amsterdam ( http://www.iisg.nl/instfr.php) ;
- Lilian Mathieu, «  Comment lutter ? Sociologie et mouvements sociaux  », Paris, Textuel, 2004 ;
- Erik Neveu, «  Sociologie des mouvements sociaux  », Paris, La découverte, 2002 ;
- Michel Pigenet, Patrick Pasture et Jean-Louis Robert (dir.), «  L’apogée des syndicalismes en Europe occidentale, 1960-1985  », Paris, Publications de la Sorbonne, 2005 ;
- Revue Le Mouvement social, éditions La découverte ( http://mouvement-social.univ-paris1.fr) ;
- Site d’histoire sociale, maitron.org ( http://biosoc.univ-paris1.fr) ;
- Danièle Tartakowsky, « Le pouvoir est dans la rue. Crises politiques et manifestations en France  », Paris, Aubier, 2001 ;
- Charles Tilly, «  Social Movements  » (1768-2004), London, Paradigm Publishers, 2004.