ps chevilly larue

L’identité nationale sous les feux de l’actualité

mercredi 18 novembre 2009 par B.TRANCHANT

Dans une table-ronde animée par Alain Bergounioux, président de l’OURS, Jean-Pierre Azéma, professeur des universités et à l’Institut d’études politiques de Paris, Laurent Bouvet, professeur de science politique à l’Université de Nice Sophia-Antipolis et à Sciences Po (Paris) et Nicolas Offenstadt, Universitaire et auteur de L’histoire Bling-Bling, Le retour du roman national (Paris, Stock, 2009), se livrent à une analyse sans concession de l’identité nationale sous toutes ses facettes.


Que pensez-vous de la manière, tant sur la forme que sur le fond, dont Nicolas Sarkozy pose aujourd’hui le débat sur « l’identité nationale » ? Faut-il en accepter les termes ? Que nous apprend l’histoire de notre pays sur ce thème récurrent ?
Laurent Bouvet : La manière de poser le débat est typiquement sarkozyste. Tant sur la forme - il est lancé à quelques mois des régionales pour faire diversion et séduire un électorat supposément nationaliste - que sur le fond : l’utilisation du terme d’« identité nationale », très clivant dans l’histoire et l’espace politique français, vise à démontrer combien le président en exercice est en rupture avec ses prédécesseurs qui ont tous été les garants de cette histoire et de cet espace.
Il nous faut insister sur le décalage entre la parole présidentielle d’un Nicolas Sarkozy qui n’a que l’identité nationale à la bouche, et la réalité de sa pratique du pouvoir. Il enterre en effet chaque jour des pans entiers de ce qui peut légitimement être considéré comme une identité politique et sociale commune, celle de la République : laïcité, universalisme, humanisme, droits et libertés, principe d’égalité… Il faut accepter, ensuite, ce débat comme un combat politique, parce que l’enjeu est d’importance. Certainement pas dans les formes et les termes proposés par le gouvernement, mais en mobilisant les citoyens sur le sujet. Entrer dans la réflexion sur le projet de société que proposera le PS en 2012 par le truchement d’un questionnement sur l’identité et ses multiples implications ne peut pas faire de mal à la gauche. Ce pourrait être une manière de renouveler l’exercice de l’élaboration du projet qui s’est beaucoup fait ces dernières années à partir du simple alignement d’une série de mesures de politique économique. Sur ce que nous apprend l’histoire, je laisserai les historiens répondre en détail. Il me semble, simplement, que la principale leçon en la matière, c’est que l’on doit être prudent quand on manipule des matières aussi instables.
Jean-Pierre Azéma : Personne ne doute que l’opération très médiatisée du débat » sur les « valeurs de l’identité nationale » se terminera à la gloire de Nicolas Sarkozy, avec la clôture du « grand débat sur l’identité nationale », le 4 février 2010. La mise en avant de cette « identité » n’est pas pour lui nouvelle : affirmée dans sa campagne présidentielle, et dans la feuille de route reçue par François Fillon, le 31 mars, elle vient d’être rappelée à Poligny. L’offensive vise à récupérer le vote paysan : comme dans le message de Pétain du 20 juin 1940, « la terre, elle, ne ment [toujours] pas ». Et à court-circuiter le FN, avant les élections régionales : les « premières propositions d’actions soumises au débat » du « guide pour la conduite des débats locaux », reçu par les préfets, sont ciblées sur « les ressortissants étrangers souhaitant entrer et séjourner sur notre territoire ». Ajoutons qu’en vue des Présidentielles, l’éloge de la diversité tend à rallier les faveurs des « Musulmans », « Beurs » ou non, et celles des Noirs. Tout cela, c’est l’évidence. Mais, ne sous-estimons pas l’adversaire : le texte évite une marque trop droitière, met « en garde contre la résurgence de certains communautarismes », entend « réaffirmer les valeurs républicaines et la fierté d’être Français ».
Nicolas Offenstadt : L’« identité nationale » n’a rien d’une notion naturelle. Elle n’existe pas en soi. Il n’y a pas de définition qui s’impose. Chacun peut la composer selon ses sentiments et ses objets ou ses objectifs. Autrement dit, considérer qu’elle existe de toute éternité et qu’il suffit aujourd’hui d’en redéfinir les contours pour notre temps est une position idéologique, celle d’un retour au National, dans sa version étroite, limitative, puisqu’il faut composer une liste de ce qui serait la bonne identité.

Comment définiriez-vous le sentiment national ? Vous paraît-il en crise comme on le prétend souvent ?
LB : Il n’y a, à mon sens, pas plus « un » sentiment national qu’une « crise » de celui-ci. Il y a beaucoup de sentiments - et de ressentiments - vis-à-vis de la nation, de la France. Et la crise, en la matière, peut s’apparenter à une situation constante. Comme si les peuples avaient toujours le sentiment que « ça allait mieux avant », qu’il y avait plus d’adhésion à la nation, comme s’il y avait eu un âge d’or de l’appartenance nationale. Si tel est le cas, alors cet âge d’or a aussi été celui du nationalisme.
Aujourd’hui, la nation, comme bien d’autres identités collectives, apparaît comme un refuge face à l’illisibilité du monde et des mutations profondes qui s’y déroulent. Cela crée-t-il un sentiment commun, au-delà d’une crainte diffuse et générale sur l’avenir ? Je n’en suis pas sûr. Jouer d’un tel « sentiment » pour s’assurer du pouvoir peut conduire à des résultats catastrophiques. Le XXe siècle l’a tragiquement démontré. La manipulation identitaire, à des fins politiques, n’est jamais de bon augure.
NO : Le sentiment national, comme l’identité, est quelque chose de très flou. Il n’existe pas à l’état pur. Toutes les identités sont des bricolages. Chaque individu, selon le groupe auquel il se rattache, sa région, ses engagements, ses croyances, définit son rapport au monde en « bricolant » ce qui lui semble essentiel. Par exemple, certains, dans le sentiment national, donneront une place considérable aux identités régionales ; d’autres, au contraire à tout ce qui est central et national. Rien ne va de soi en ces matières.

Les socialistes, depuis le XIXème siècle, sont convaincus que le sentiment national est indissociable de la République, de ses valeurs et de ses acquis, en termes de droits, de libertés, de protection sociale. Comment définir cette alliance ? Comment la perpétuer et l’approfondir ?
J.P. A : Les socialistes ne sauraient cautionner un débat biaisé qui confond l’identité nationale avec l’identité de la France. La priorité exclusive accordée à la nation ne suffit pas à fonder le lien social et politique nécessaire. Celui qui avait prévalu pour asseoir, dans les années 1880, les fondements de la France républicaine. Ajoutons que si Sarkozy a déclaré « l’identité nationale, c’est l’identité républicaine », l’intitulé de son « ministère de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire », et encore plus ses pratiques inspirées par le FN, n’ont rien à voir avec notre conception de la démocratie républicaine. C’est donc pour de bonnes raisons que le Bureau national refuse toute caution, sans pour autant rester silencieux.
LB : Le seul constat politologique qui me semble possible est celui de la division profonde et parfois schizophrène, à gauche et au PS, entre une vision que l’on pourrait qualifier d’élégiaque de la République - celle d’un modèle idéal perdu qu’il faut tout faire pour défendre, voire de le restituer -, et une vision déconstructionniste de la République : la République et la France d’avant, c’était l’ère de la domination machiste, hétérosexuelle, coloniale, familialiste, scolaire…, alors que nous serions désormais dans le temps de l’émancipation généralisée - celle qui passe notamment par une demande continuelle de droits individuels et de « liberté culturelle ».
Tant que le PS n’aura pas réussi à formuler une position claire, en interrogeant ces deux « logiques » antagonistes pour les dépasser finalement dans un projet contemporain et constructif, il pourra difficilement proposer autre chose qu’une série de mesures techniques sur tel ou tel aspect des politiques publiques. Ce qu’il nous faut retrouver, c’est le sens de l’identité socialiste, l’unité narrative d’un projet susceptible de rassembler des citoyens et non des morceaux d’électorats préconstitués.
NO : Les identités républicaines et démocratiques posent aujourd’hui autant de questions que la pseudo identité nationale. Si l’on souhaitait vraiment discuter des identités, il n’y a aucune raison de privilégier le « National », sauf pour des raisons militantes, idéologiques. Pourquoi ne pas envisager un débat sur les identités républicaines - et le pluriel en matière d’identités s’impose toujours ? On voit bien ici que la connotation serait tout autre, plus ouverte, moins exclusive.

Dans une France engagée dans la construction européenne, ouverte au monde, avec une population de plus en plus diversifiée, comment est-il possible de penser la diversité des appartenances et des expériences qui font une société ?
J.P. A : Les socialistes doivent affirmer que l’identité n’est pas une notion « essentialiste », fixée ou à redéfinir une fois pour toutes, ce qui mène inévitablement à l’exclusion de ceux qui ne rentrent pas dans le moule. Jaurès, dans son remarquable chapitre X de L’Armée nouvelle, soulignait que « la patrie [il utilise presque indifféremment les termes de patrie et de nation] « ce n’est pas un absolu, elle n’est pas le but […] Le but c’est l’affranchissement de tous les individus humains ». Il convenait, toutefois, que « la démocratie et la nation restent les conditions essentielles, fondamentales, de toute création ultérieure et supérieure ». En n’hésitant pas à reconnaître que le nationalisme ouvert a pu servir d’alibi dans les politiques répressives menées, notamment dans les colonies, nous devons approfondir un patrimoine commun de droits et de libertés. Et mettre en avant une politique de la diversité qui ne soit pas le rouleau compresseur de l’assimilation.
LB : La diversité culturelle et sociale est une réalité propre à toute société complexe. Elle est aussi un atout démographique dans un monde ouvert et interdépendant comme le nôtre. Elle ne saurait cependant être érigée en objectif politique ou en principe directeur de l’action publique. Lorsque c’est le cas, elle est vite réduite à quelques segments de la société française et dans les politiques caricaturales de représentation de la diversité dans les institutions ou les médias par exemple - à partir, notamment, de l’utilisation de catégories aussi discutables que celle de « minorités visibles ».
NO : Il faut abandonner les a priori visant à faire triompher une « identité » sur une autre. Et réfléchir aux manières de conjuguer des appartenances multiples, parfois perçues comme lointaines. En se centrant sur le National, le débat gouvernemental est exclusif et décalé au regard des horizons des Français dont la vie s’inscrit désormais dans un monde connecté à l’ensemble des continents.
De même, il est étriqué de vouloir un musée d’histoire focalisé sur l’histoire de « France ». Identités nationales, européennes, républicaines, ou bien encore communautaires, n’ont pas à être pensées séparément, mais selon les groupes et les individus, au gré des enjeux. Il faut donc refuser les termes du débat à la Besson, où tout est construit par la définition même du sujet. Quand on cherche l’identité nationale comme un objet existant, on peut être sûr de trouver celle que l’on souhaite.

Propos recueillis par Bruno Tranchant

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