Le big clash !
mardi 24 novembre 2009 par B.TRANCHANT
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Ils avaient décidé de faire de cet instant solennel l’un des principaux temps forts de leur contestation. Vingt-quatre heures à peine après le rassemblement de 2 000 conseillers généraux résolus à défendre les départements, les édiles socialistes ont une nouvelle fois démontré leur capacité à se retrouver, à l’occasion du Congrès des maires de l’AMF (Porte de Versailles, 17-19 novembre). Dans le viseur, la très fumeuse réforme territoriale qualifiée d’« inique » et d’« antidémocratique » par la Première secrétaire elle-même.
La grogne est désormais partout, d’autant que le chef de l’État, qui a trouvé le moyen de se défiler sur cette affaire, ne manque pas une occasion de stigmatiser la tendance dispendieuse des collectivités. Et ce n’est pas l’intervention soporifique du Premier ministre, accueillie par des quolibets, qui est de nature à inverser la tendance, tant le divorce entre les élus et le gouvernement est profond. « Il est entré sous les sifflets, il ressort dans l’indifférence », ironise Gérard Collomb, le maire de Lyon.
Mensonges
Triste spectacle que celui d’un gouvernement aux abois qui s’emploie, jour après jour, à asphyxier des exécutifs déjà durement éprouvés par les emprunts toxiques et l’annonce programmée de la suppression de la taxe professionnelle (TP), sur fond de règlement de compte politique. « Le temps des échecs est là », a martelé Martine Aubry lors du déjeuner des maires, organisé en marge du Congrès, par la Fédération nationale des élus socialistes et républicains (FNESR). Échec économique, d’abord, dans la mesure où le plan de relance ne produit aucun effet positif ! Échec social, ensuite, dont les conséquences se révèlent dramatiques pour les classes moyennes et populaires. « Les bonus prospèrent, les Français trinquent !, s’emporte la Première secrétaire. Et pendant ce temps-là, Sarkozy commande des sondages, trie les réponses, les transmet aux médias. Il trompe l’opinion, contrôle la justice, mêlant sans coup férir justice et affaires ! ».
« À chaque fois qu’il s’agit de toucher à l’essentiel, les élus de gauche sont là, tempère la maire de Lille. La réforme offre au président un terrain propice, en tournant le dos aux intérêts des Français ». Au même moment, il taxe les élus de dépenser sans compter, à l’heure où l’État accuse un déficit de 140 milliards et que les dotations sont en berne. « Derrière cette réforme, c’est le changement du mode de scrutin qui est en jeu, renchérit Martine Aubry. L’objectif est de couper l’herbe sous le pied des collectivités pour les contraindre à taxer les ménages ».
Le vieux débat visant à opposer un État vertueux à des collectivités impécunieuses suit son cours. « Cette réforme touche à l’essentiel des valeurs républicaines, confie ainsi Claudy Lebreton, le président de la FNESR. Elle nous offre une réelle opportunité pour porter le fer contre la droite ». « Elle a pour socle le dénigrement et pour méthode l’opacité, peste André Laignel, Secrétaire général de l’AMF. Les maires sont le premier recours, mais aussi le dernier espoir de beaucoup des nôtres. Nous ne pouvons accepter qu’on nous prive des moyens de répondre à leurs aspirations, à leurs besoins, parfois même à leur détresse. Nous ne pouvons accepter d’être transformés en sous-traitants de l’État. C’est le pacte républicain lui-même qui serait affaibli ».
Rupture
En écho, Alain Rousset voit dans le futur conseiller territorial un être hybride, « plus homme que femme, plus vieux que jeune, épuisé par la tâche ». Un élu « à cheval entre deux cultures, appelé à devenir un surhomme ». Cette réforme marque donc très clairement une rupture contre l’esprit de décentralisation, aboutissant à la multiplication des échelons, au prix d’une complexité sans nom. « La première grande faute de Sarkozy », tempête le patron de l’Association des régions de France (ARF). « Une autre réforme est possible, fondée sur un État fort, assumant ses tâches régaliennes, portant haut nos valeurs républicaines et laïques hors de nos frontières, veut croire Martine Aubry. Un État stratège, aussi, capable de défendre les services publics, au service de la justice sociale ».
Ni Fillon, ni Lagarde ne sont parvenus à dissiper les doutes sur le sujet. Pas plus que sur la mise à mort de la TP. Derrière les courbes et les graphiques, nul n’est dupe. S’ils promettent l’un et l’autre de transférer une centaine de millions d’euros de recettes de l’État vers les collectivités et de maintenir le lien entre entreprises et territoires, les élus, de droite comme de gauche, déplorent une perte d’autonomie financière inévitable. « Les maires n’acceptent pas d’être les boucs émissaires de la mauvaise gestion de l’État, résume Pascal Buchet, maire de Fontenay-aux-Roses et rapporteur de la commission de finances de l’AMF. Ils refusent de faire le sale boulot ! »
Dépenses contraintes
Plusieurs élus réclament une hausse de l’impôt sur le revenu, fustigeant par la même occasion la disparition de la TP. D’autres s’interrogent très sérieusement sur les ressources affectées aux communes et autres communautés. Ce qui vaut à Jean-Claude Boulard, maire du Mans, d’appeler à un « ajustement » de la réforme. Et à Didier Migaud, président de la Commission des finances à l’Assemblée nationale, de fustiger le remplacement de l’impôt par des dotations faiblement évolutives (+ 0,6 %), inférieures en tout points aux dépenses locales. « Faute de pouvoir recourir à l’emprunt, l’autofinancement des collectivités locales est contraint, peste André Laignel. Pour l’heure, elles n’ont d’autres ressources que de diminuer le niveau du service public local et de revoir à la hausse l’impôt sur les ménages ».
« Nous sommes favorables aux évolutions, aux réformes. Mais pourquoi une telle brutalité ? Pourquoi cette arrogance ?, s’interroge Bertrand Delanoë. Nous avons besoin de lisibilité et de respect. Nous avons besoin de concertation, d’avoir le temps d’élaborer ensemble une réforme qui marche et qui respecte surtout l’autonomie de décision des assemblées démocratiquement élues dans nos communes ». Sur ce terrain, Jean-Pierre Balligand, le président de l’Institut de décentralisation, est de ceux qui pensent qu’un débat sur la spécialisation des compétences et de la clause générale des compétences est utile. Des questions qui, regrette-t-il, ne figurent pas au cœur de la réforme. Le seul enjeu porte sur le changement du mode de scrutin, assène-t-il à son tour. Ce, afin de remettre en cause l’existence même des régions. « Il faut émanciper les conseillers régionaux du localisme pour qu’ils se consacrent au développement universitaire, à celui des clusters et de la recherche. Cette réforme propose tout le contraire. Elle est totalement régressive ».
Bruno Tranchant
Fillon au piquet !
À défaut de dompter les élus, François Fillon a ravivé leurs inquiétudes. Sur le remplacement de la taxe professionnelle, impôt très dynamique, par un panier de taxes, contributions et dotations, l’affaiblissement du lien fiscal entre territoires et entreprises induit par la réforme de la TP, et la faible progression des dotations de l’État pour 2010 (+ 0,6 % pour la dotation globale de fonctionnement), le discours du Premier ministre n’a pas varié d’un pouce. Au point que de nombreux maires ont quitté la salle lors de son intervention à l’AMF. Un homme « incapable d’entendre le désarroi des élus, a aussitôt réagi le patron du groupe socialiste au Sénat, Jean-Pierre Bel. Avant de fustiger « l’entêtement du gouvernement à improviser la suppression de la ressource principale des collectivités locales et à imposer la réforme territoriale ».
B.T.
Le gouvernement invité à revoir sa copie
« Le congrès estime que ces deux réformes, en l’état actuel des textes présentés au Parlement, ne sont pas acceptables, précise la Résolution présentée par André Laignel en clôture des journées de l’AMF. Le congrès considère que l’année 2010 devra être mise à profit pour rechercher l’indispensable consensus républicain sur les deux réformes engagées par le gouvernement ». Les maires pointent, en particulier, « la gravité de la situation » et demandent « que le texte sur les compétences des collectivités territoriales soit connu avant le vote de la réforme territoriale ». Autre thème de discorde : la taxe professionnelle au sujet de laquelle les édiles réclament le report, à l’année prochaine, du vote définitif par le Parlement du nouvel impôt économique appelé à la remplacer. Pas sûr que le gouvernement l’entende de cette oreille…
B.T.
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